Les Poilus (La France sacrifiée)
l’étranger, et reprendre la voie glorieuse de l’expansion, fâcheusement interrompue par la défaite, sur des bases solides. Son programme extérieur, fondé sur le principe des droits des peuples du président Wilson, consistait à récupérer les communautés allemandes de Dantzig et de Haute-Silésie et à rattacher l’Autriche au Reich. Son but était de rétablir la souveraineté de l’Allemagne, sa diplomatie, son armée, ses finances. Il était prêt à payer rançon pour y parvenir, à entrer à la SDN, à signer avec Briand le pacte de Locarno, à reconnaître les frontières occidentales du Reich pour rassurer les Français.
Mais le but de Stresemann était la reprise de la politique traditionnelle allemande vers l’est. D’abord renouer des liens avec l’URSS. L’ Ostpolitik était alors renforcée dans ses vues par la théorie géopolitique d’un Halford Mackinder qui soutenait [3] que la puissance de la terre devait l’emporter à la longue sur celle de la mer, dont la décadence avait commencé. Cet auteur lu par l’élite d’outre-Rhin estimait que l’Allemagne aurait dû prendre immédiatement l’offensive à l’est en 1914 pour abattre le principal obstacle à sa puissance. Elle aurait ainsi pu l’emporter sur les nations maritimes de l’Ouest.
Von Seeckt et Stresemann, au début des années 20, avaient orienté la diplomatie allemande vers Moscou, contre la Pologne, nouvel État reconstitué par la paix de Versailles. Le traité de Rapallo du 3 avril 1922 avait jeté les bases d’une collaboration qui ne devait pas s’interrompre. En 1926, le traité de Berlin prolongeait Rapallo, avant l’accord sur la neutralité signé par Hitler en 1933 et qui démentirait pour un temps les propos délirants de Mein Kampf sur la Russie bolcheviste, enfin par l’accord de 1939. L’Allemagne avait dans l’immédiat besoin, pour reprendre l’Ostpolitik contre les petites nations créées par Wilson à Versailles, de la complicité de Moscou.
La politique de Stresemann avait pour article un de ne jamais reconnaître la frontière polonaise. Reprendre Dantzig et la Posnanie, le bassin charbonnier de Haute-Silésie et la Poméranie, c’était annuler les clauses orientales de Versailles. L’Anschluss, un moment souhaité à Vienne par les socialistes, combattu par les Seipel, Dolffus et Schuschnigg qui lui préféraient la reconstitution de l’ancien empire autour de Vienne par une fédération danubienne, était repris par le projet d’union douanière de 1931 qui favorisait la pénétration de l’espace autrichien par les industries du Reich mais devait être torpillé in extremis par les Français. Stresemann n’était pas seulement favorable à l’Anschluss, mais aussi au rattachement des Sudètes de Bohême, brimés et occupés militairement par les Tchèques alliés des Français.
Mais il pensait que la politique de l’Est devait d’abord s’attaquer au gouvernement de Varsovie, avant d’aborder la question de Prague. Obtenir, par la voie pacifique, la restitution des territoires enlevés à l’Allemagne à l’Est lui semblait-il possible ? Sarcastique, Hitler se riait dans Mein Kampf de cette prétention à vouloir obtenir sans verser le sang la reprise des terres allemandes. Stresemann manœuvrait obstinément pour faire tomber les villes, les ports et les régions économiques dans l’escarcelle de l’Allemagne, guettant le moment de la rectification. 11 pensait que la puissance économique supérieure de son pays suffirait à soigner les plaies de la défaite et à reconstituer la Grande Allemagne, grâce à l’appui des puissances anglo-saxonnes et à l’entente avec les Soviétiques. Seule l’Allemagne, estimait-il, pouvait garantir la paix en Europe en imposant silence aux petites nations querelleuses issues du traité de Versailles.
S’il était européen, il voulait une Europe unifiée économiquement par l’Allemagne, prenant la place de l’Europe de Versailles dont les notions de droit international semblaient périmées. La France devait être liée à cette Mitteleuropa des intérêts allemands par des accords économiques fructueux pour les deux pays, servant au mieux les visées hégémoniques allemandes sur le continent. Les accords Rathenau-Loucheur et Stinnes-de Lubersac avaient montré la voie : la liaison du charbon de la Ruhr et du fer lorrain s’imposait. À quoi bon avoir fait la guerre pour annexer le bassin de Briey, et refusé de
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