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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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eût été inutile. Je fis le tour de la bâtisse, où je découvris avec angoisse le même délabrement, comme si la propriétaire avait disparu et que le château fût à vendre.
    Assis sur le perron, dans la dernière clarté du jour et sous une pluie qui redoublait, je m’abandonnai aux pires suppositions, dont aucune n’était propre à me satisfaire : Juliette s’était réfugiée avec notre fils chez ses parents, aux environs de Périgueux, pour attendre mon retour ; Puymège était à vendre ; ou encore – mais je repoussai cette hypothèse – mon épouse était morte…
     
    L’idée m’effleura de passer la nuit sur la paille, dans l’écurie de Noisette, mais j’estimai qu’il était préférable de demander asile à mon fermier, Delpeyroux, qui habitait une masure à deux cents mètres du château.
    La famille, Amédée, sa femme Flavie et la marmaille, était à table. En ouvrant sa porte, Delpeyroux eut un recul vers la cheminée, devant cet inconnu surgi de la nuit ruisselant de pluie, pour décrocher son fusil de chasse. J’arrêtai son geste et, ôtant mon chapeau, je me fis reconnaître. Il remit son fusil en place et, en s’excusant de la brutalité de son accueil, me pria de m’asseoir à sa table.
    L’odeur de la soupe de légumes me donna un vertige. Les enfants s’écartèrent pour me faire place. En quelques lampées, j’avalai une pleine écuelle, en repris et noyai ce qui restait dans le fond d’une giclée de vin, pour « faire chabrol », comme jadis. Flavie me tailla un chanteau de seigle et une tranche de jambon que je dévorai du même appétit.
    Tous gardaient le silence, la tradition exigeant que le maître fût le premier à prendre la parole à table. J’étais ce maître.
    — Je suis heureux de vous revoir, dis-je enfin, et de constater que vous êtes en bonne santé. Amédée, que s’est-il passé en mon absence ? Pourquoi ma femme n’est-elle pas là ?
    Delpeyroux échangea avec sa femme un regard embarrassé, gratta sa barbe et bredouilla :
    — Notre maître… comment vous dire… madame Juliette nous a quittés il y a près de trois ans.
    — Quittés… pour aller où ? Dans sa famille ?
    — Non point, notre maître, non point, hélas.
    — Ne me dites pas qu’elle est morte !
    — Ça non ! glapit Flavie en se signant. Dieu nous en garde.
    — Mais alors, où est-elle ?
    Delpeyroux se rassit et, avec une gêne telle que j’avais du mal à suivre ses propos, me fit comprendre qu’elle avait abandonné Puymège avec Eugène pour… pour aller vivre avec un officier. Je sentis des frissons agiter mes jambes et remonter jusqu’à mes mains. Je laissai tomber mon couteau sur la table.
    D’une voix plus raffermie, le fermier me confia que cet officier, le capitaine Rodolphe Dietrich, commandait une colonne de fantassins qui, sur la route d’Espagne où elle devait renforcer l’armée de Soult, s’était arrêtée à Larche. Il s’était mis en quête d’un logement et avait sonné au portail de Puymège.
    Après sa halte d’une nuit à Larche, la colonne était restée trois jours à Brive pour refaire ses forces. Satisfait de l’accueil qu’il avait reçu de Juliette, le capitaine, durant ces trois jours, avait fait à cheval la navette entre la ville et le château. En repartant, il avait fait promettre à Juliette de le rejoindre à Toulouse, où il devait séjourner une semaine, dans l’attente de nouveaux renforts.
    Le lendemain du départ du capitaine Dietrich, Juliette était allée trouver Flavie pour lui raconter son aventure sentimentale, disant qu’elle provoquerait une absence longue et peut-être définitive. Elle souhaitait qu’Amédée prît soin du domaine et profitât des récoltes.
    Ils avaient attendu deux ans, et, comme Juliette ne donnait pas de nouvelles, ils avaient vendu Noisette.
    — Sinon, me dit-il, cette pauvre bête serait morte d’ennui.
    L’argent était dans une boîte, sur l’étagère de la cheminée. Ils avaient bien fait et je le leur dis ; quant à l’argent, qu’ils le gardent !
    Flavie me demanda ce que je comptais faire. M’installer au château, réfléchir, laisser le temps reformer autour de moi une ambiance sinon sereine, du moins rassurante ? Elle me proposa de rester le temps que je voudrais dans sa masure, pour la table et pour le lit. Préférant vivre

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