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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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un beau magot, dont je lui laissai une part.
    — Amédée, lui dis-je en lui serrant la main, vous êtes un brave homme. Vous le serez plus encore si vous me louez les services d’un de vos fils afin de remettre le château et le parc en état pour le jour où madame Juliette reviendra.
    Il parut stupéfait et me demanda si elle avait donné de ses nouvelles.
    — Pas encore, Amédée, pas encore, mais j’ai le sentiment qu’elle ne tardera guère à revenir.
     
    J’ai ouvert en grand portes et fenêtres sur le soleil de cette fin de saison qui sent le champignon et la vendange. Je me souvenais de l’habitude de Juliette de faire de même avant le froid, de manière, disait-elle, à ce qu’on respire partout, jusque dans le grenier, l’air salubre de la campagne.
    L’odeur de vieille masure qui imprégnait toutes les pièces se dissipa vite, si bien qu’on respirait le même air partout. Un frisson de vie parcourait ces vieux murs, et le mobilier dévêtu de ses linceuls.
    René, le fils aîné des Delpeyroux, garçon un peu  néci , pour dire qu’il n’avait pas inventé la poudre, mais docile et travailleur, m’aida à faire le ménage, à balayer les feuilles mortes, à arracher la mauvaise herbe et à tailler les troènes. En une quinzaine, Puymège avait retrouvé son aspect d’antan, sauf qu’il y manquait la présence et la voix de Juliette lorsqu’elle se mettait à son épinette pour jouer et chanter  Fleuve du Tage , son air préféré. Flavie agrémenta les parterres de quelques rosiers et les murs de roses trémières.
    Juliette pouvait revenir : elle trouverait sa maison telle qu’elle l’avait abandonnée. Pour moi, ce n’était pas le bonheur, mais cela, parfois, y ressemblait.
     
    Peu avant Noël, comme pris d’une frénésie de débarras, je vendis un petit étang, une prairie avec sa  piboulaie  (une peupleraie) au bord de la Couze, et un hectare de bois de coupe : autant de biens qui ne m’étaient pas indispensables. Je tirai de ces ventes l’argent nécessaire pour passer un hiver sans me soucier, économe que je suis, de l’état de mes finances.
    Ma certitude dans le retour de Juliette était telle que j’avais installé, à une centaine de mètres du château, un petit observatoire d’où la vue s’étendait jusqu’aux premières fermes de Larche et couvrait le chemin qu’elle emprunterait. Quelque temps qu’il fasse, je m’y tenais durant une heure ou deux chaque jour.
     
    Le lendemain de la messe de Noël en l’église de Saint-Cernin et du réveillon que j’invitai les Delpeyroux à partager avec moi au château, je pris une résolution que je m’attachai le jour même à réaliser.
    Je me sentais trop lourd d’expérience et d’épreuves pour les garder secrètes. Les raconter était devenu plus qu’un besoin, une nécessité, et, plus qu’une thérapie, une libération. Écrire mes souvenirs ? Mais pour qui ? Pour moi d’abord, pour mon fils ensuite, plus tard pour ses enfants, et ainsi de suite. Je ne comptais pas me poser en héros de l’épopée impériale, mais en témoin d’un temps riche d’événements dramatiques.
    Outre que ma mémoire est excellente, j’ai pu préserver des fouilles et rapporter, cousus dans mes doublures, des notes prises sur le vif et quelques dessins de Gille, souvent maculés de jus de tabac ou de boue, froissés et déchirés.
    Restait à trouver l’endroit favorable à cette tâche quotidienne. La salle à manger ? Trop vaste et difficile à chauffer. Le grenier ? Un repaire de hibou, romantique mais glacial. Ma chambre ? Trop exiguë pour y installer une table de travail, et, de plus, je ne tenais pas à respirer durant mon sommeil les relents de mes tabagies diurnes. Celle de Juliette ? Je refusais d’y toucher, pour qu’elle la retrouvât telle qu’elle l’avait laissée.
    J’ai jeté mon dévolu sur la chambrette d’Eugène, attenante aux nôtres. Elle était encore encombrée de jouets et de livres d’école qui ont trouvé place dans le grenier. Je n’ai gardé que ses dessins coloriés collés aux murs, dont certains, maladroits mais émouvants, me représentent en tenue d’aide de camp, à cheval. Son petit poêle de fonte suffisait à entretenir une température supportable.
    Une table de style Louis XV, prélevée dans le salon, assez vaste pour les ouvrages que j’aurais

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