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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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à fleurs et des rideaux légers à la fenêtre, qui donnait sur le port, avec au loin la silhouette sinistre de la forteresse. L’odeur délicate et le soin apporté au décor me faisaient penser à une chambre de jeune fille.
    Au cours du déjeuner, l’armateur, monsieur Nesti, m’informa qu’il n’avait plus de nouvelles de son fils aîné, sinon qu’il avait été fait prisonnier, après la bataille de Baylen, dans l’armée Vedel. Peut-être l’avais-je connu ? J’avouai mon ignorance, ce nom ne me disant rien, mais je lui conseillai de ne pas désespérer. D’autres convois de prisonniers allaient sûrement arriver.
    Monsieur Nesti me demanda où j’allais porter mes pas.
    — Quitter Marseille au plus tôt, en évitant de me faire arrêter par une patrouille, et me rendre en Corrèze, où ma famille m’attend.
    — Vous pourriez rester dans notre famille, le temps que le calme soit revenu.
    — Je vous en remercie, mais je souhaite partir dès demain. Avec ma jambe blessée, il me faudra au moins trois semaines, à pied, pour regagner mes foyers.
    — À pied, monsieur ! s’écria madame Nesti. Ce serait une folie. La région regorge de brigands. Il vous faudra prendre la diligence. Rassurez-vous, nous assumerons les frais du voyage.
     
    Informé que des patrouilles parcouraient encore la ville, à la recherche de fugitifs, je décidai de profiter quelques jours de plus de l’amabilité de mes hôtes.
    Pour éviter les promenades dangereuses, je ne sortais qu’à la nuit tombée, vêtu des vêtements civils du fils perdu et le visage poudré pour cacher ma gale.
     
    Un soir, alors que je sirotais un verre de vin de Provence en fumant un cigare, un homme à gros favoris s’assit près de moi, déplia un journal et fit mine de le lire. Après quelques minutes de mutisme, il tenta d’amorcer une conversation et m’apprit qu’il tenait une mercerie dans le quartier voisin, rue Sainte, près de la basilique Saint-Victor.
    — Vous connaissez sans doute ma boutique, monsieur ?
    — Sans doute. Qui ne la connaît pas ?
    Il ajouta :
    — Quel chambard, monsieur, nous avons connu durant ces trois derniers jours, et quelle fête ! J’en suis encore tout retourné. Voir ces malheureux accueillis comme s’ils revenaient de Guyane avait de quoi attendrir des pierres. Vous avez dû assister comme moi à cette journée ?
    — Non, monsieur, je suis resté chez moi car je fuis les excès de la populace. Quant au sort de ces misérables qui ne jurent que par le Corse, il me laisse indifférent. Vive le roi, monsieur !
    Surpris de ne m’avoir jamais vu, il me demanda si j’habitais ce quartier. Je lui répondis que j’y venais parfois pour affaires. Il soupira, replia lentement son journal et, après m’avoir souhaité le bonsoir d’un ton un peu cérémonieux, ôtant son chapeau, il s’en fut en sifflotant.
    Quand j’eus fait part de ma rencontre à monsieur Nesti, son visage s’assombrit.
    — Permettez-moi de vous dire, monsieur de Puymège, que vous avez commis une bévue qui pourrait être lourde de conséquences… Je connais bien le quartier Saint-Victor. Il n’y a pas de boutique de mercerie. Le bonhomme vous a tendu un piège. Vous avez eu affaire à un policier en civil, ou à une mouche, comme on dit vulgairement. Vous a-t-il suivi ?
    — Pas que je sache, mais je ne pourrais en jurer.
     
    Je passai une nuit paisible. Alors que j’achevais mon déjeuner, je perçus un bruit de voix venant de la boutique. En glissant un œil par la porte entrebâillée, je reconnus l’homme aux gros favoris, encadré de deux policiers en tenue, fusil à l’épaule.
    Si, étant préparé à leur venue, je n’avais pris mes précautions, j’eusse été fait tel un rat. Je jetai un baiser sur la joue de madame Nesti, lui promis de donner de mes nouvelles et pris le large par la porte de derrière donnant sur la rue de Paradis, puis, sûr de ne pas avoir la mouche sur mes talons, je m’engageai en traînant la patte dans un lacis de ruelles sordides envahies de volaille et de chiens efflanqués.
    À bout de souffle, je fis halte dans la boutique d’une fleuriste et me laissai tomber sur une chaise, les mains entre les genoux.
    — Eh bien, monsieur, me dit-elle, qu’avez-vous ? Voulez-vous un verre d’eau, un cordial ?
    Elle n’attendit pas ma réponse pour

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