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Les rêveries du promeneur solitaire

Les rêveries du promeneur solitaire

Titel: Les rêveries du promeneur solitaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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application dans tous les cas qui
peuvent se présenter. Car si l'obligation de dire la vérité n'est
fondée que sur son utilité, comment me constituerai-je juge de
cette utilité ? Très souvent l'avantage de l'un fait le
préjudice de l'autre, l'intérêt particulier est presque toujours en
opposition avec l'intérêt public. Comment se conduire en pareil
cas ? Faut-il sacrifier l'utilité de l'absent à celle de la
personne à qui l'on parle ? Faut-il taire ou dire la vérité
qui profitant à l'un nuit à l'autre ? Faut-il peser tout ce
qu'on doit dire à l'unique balance du bien public ou à celle de la
justice distributive, et suis-je assuré de connaître assez tous les
rapports de la chose pour ne dispenser les lumières dont je dispose
que sur les règles de l'équité ? De plus, en examinant ce
qu'on doit aux autres, ai-je examiné suffisamment ce qu'on se doit
à soi-même, ce qu'on doit à la vérité pour elle seule ? Si je
ne fais aucun tort à un autre en le trompant, s'ensuit-il que je ne
m'en fasse point à moi-même, et suffit-il de n'être jamais injuste
pour être toujours innocent ? Que d'embarrassantes discussions
dont il serait aisé de se tirer en se disant : Soyons toujours
vrais au risque de tout ce qui en peut arriver. La justice
elle-même est dans la vérité des choses, le mensonge est toujours
iniquité, l'erreur est toujours imposture, quand on donne ce qui
n'est pas pour la règle de ce qu'on doit faire ou croire : et
quelque effet qui résulte de la vérité on est toujours inculpable
quand on l'a dite, parce qu'on n'y a rien mis du sien. Mais c'est
là trancher la question sans la résoudre. Il ne s'agissait pas de
prononcer s'il serait bon de dire toujours la vérité, mais si l'on
y était toujours également obligé, et sur la définition que
j'examinais supposant que non, de distinguer les cas où la vérité
est rigoureusement due, de ceux ou l'on peut la taire sans
injustice et la déguiser sans mensonge : car j'ai trouvé que
de tels cas existaient réellement. Ce dont il s'agit est donc de
chercher une règle sûre pour les connaître et les bien
déterminer.
    Mais d'où tirer cette règle et la preuve de son
infaillibilité ? Dans toutes les questions de morale
difficiles comme celle-ci, je me suis toujours bien trouvé de les
résoudre par le dictamen de ma conscience, plutôt que par les
lumières de ma raison. Jamais l'instinct moral ne m'a trompé :
il a gardé jusqu'ici sa pureté dans mon coeur assez pour que je
puisse m'y confier, et s'il se tait quelquefois devant mes passions
dans ma conduite, il reprend bien son empire sur elles dans mes
souvenirs. C'est là que je me juge moi-même avec autant de sévérité
peut-être que je serai jugé par le souverain juge après cette
vie.
    Juger des discours des hommes par les effets qu'ils produisent,
c'est souvent mal les apprécier. Outre que ces effets ne sont pas
toujours sensibles et faciles à connaître, ils varient à l'infini
comme les circonstances dans lesquelles ces discours sont tenus.
Mais c'est uniquement l'intention de celui qui les tient qui les
apprécie et détermine leur degré de malice ou de bonté. Dire faux
n'est mentir que par l'intention de tromper, et l'intention même de
tromper, loin d'être toujours jointe avec celle de nuire, a
quelquefois un but tout contraire. Mais pour rendre un mensonge
innocent il ne suffit pas que l'intention de nuire ne soit pas
expresse, il faut de plus la certitude que l'erreur dans laquelle
on jette ceux à qui l'on parle ne peut nuire à eux ni à personne en
quelque façon que ce soit. Il est rare et difficile qu'on puisse
avoir cette certitude ; aussi est-il difficile et rare qu'un
mensonge soit parfaitement innocent. Mentir pour son avantage à
soi-même est imposture, mentir pour l'avantage d'autrui est fraude,
mentir pour nuire est calomnie ; c'est la pire espèce de
mensonge. Mentir sans profit ni préjudice de soi ni d'autrui n'est
pas mentir : ce n'est pas mensonge, c'est fiction. Les
fictions qui ont un objet moral s'appellent apologues ou fables, et
comme leur objet n'est ou ne doit être que d'envelopper des vérités
utiles sous des formes sensibles et agréables en pareil cas on ne
s'attache guère à cacher le mensonge de fait qui n'est que l'habit
de la vérité, et celui qui ne débite une fable que pour une fable
ne ment en aucune façon. Il est d'autres fictions purement
oiseuses, telles que sont la plupart des contes et dès

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