Les révoltés de Cordoue
lui quand il était petit. Brahim creusa une tombe
non loin de là. Fatima n’avait plus de larmes pour pleurer. Il n’y eut ni
uléma, ni prières, ni tissu pour envelopper le bébé. Brahim le déposa dans le
trou. Sa mère, debout, dévastée, ne s’approcha même pas de la tombe.
À partir d’Alcalá, les étapes se firent plus longues. Ils
descendirent jusqu’à la campagne de Jaén. Brahim aidait Fatima, qui se laissait
faire. Elle ne parlait pas, ne semblait plus vivre. Hernando éprouvait nausées
et frissons dès qu’il apercevait le corps inanimé de Fatima collé à son
beau-père. Au terme de trois autres journées, ils arrivèrent à Cordoue. En
haillons, pieds nus, portant des enfants et des malades, en rangs de cinq
encadrés par les compagnies de hallebardiers et d’arquebusiers, ils entrèrent
dans la ville au son de la musique et sous les yeux de la population intriguée.
Les soldats, en formation, avaient revêtu leurs plus beaux atours.
Sur les trois mille cinq cents Maures partis de Grenade,
seulement trois mille atteignirent Cordoue. Cinq cents cadavres jonchaient le
macabre chemin.
C’était le 12 novembre 1570.
AU NOM DE L’AMOUR
« Je ne
savais pas qu’il s’agissait de cela, sinon je ne l’aurais pas permis, car vous
êtes en train de faire ce que l’on peut trouver partout à la place de ce qui
était unique au monde. »
Paroles attribuées
à l’empereur Charles Quint en l’an 1526, à la vue de la cathédrale chrétienne à
l’intérieur de la mezquita de Cordoue, dont il avait lui-même autorisé les
travaux, mettant fin aux disputes entre le conseil municipal et celui de la
cathédrale quant à la pertinence de sa construction.
24.
Ils passèrent devant la forteresse de la Calahorra,
franchirent le pont romain sur le Guadalquivir et entrèrent dans Cordoue par la
porte du Pont, qui donnait sur le chevet de la cathédrale de la ville. En
formation, surveillés par les soldats et scrutés par les habitants regroupés à
leur passage, les Maures reconnurent dans la cathédrale chrétienne la
merveilleuse mosquée de la Cordoue des califes, la mezquita. Hernando
tourna le regard vers le temple. Tous ces anciens villageois des Alpujarras, humbles,
rivés à leurs terres, n’avaient jamais eu l’occasion de la voir, mais ils en
avaient beaucoup entendu parler et, bien qu’exténués, les visages ne pouvaient
cacher leur curiosité. Juste derrière le mur centenaire, sous la coupole, se
trouvait le mihrab, l’endroit d’où le calife dirigeait la prière.
Certains murmures se firent entendre parmi les déportés, qui inconsciemment
ralentirent le pas. Un homme qui portait un enfant sur ses épaules désigna la
mezquita.
— Hérétiques ! cria une femme devant ces signes
d’intérêt.
Immédiatement, la foule reprit l’insulte, comme si elle
voulait protéger l’église des regards profanes :
— Sacrilèges ! Assassins !
Un vieil homme voulut leur jeter une pierre, mais les
soldats l’en empêchèrent et obligèrent la colonne à avancer plus vite. Une fois
qu’ils eurent dépassé la cathédrale, les rues devinrent plus étroites et les
soldats dispersèrent les habitants qui purent seulement continuer à observer le
défilé du haut des balcons des maisons à deux étages, blanchies à la chaux. Les
Maures empruntèrent la calle de los Cordoneros, passèrent par la calle
Alhóndiga et la calle de la Pescadería, traversèrent la calle de Feria et
arrivèrent à l’embouchure de la calle del Potro. La tête du cortège s’arrêta
sur la plaza del Potro, la plus importante enclave commerciale de la ville,
choisie par le corregidor Zapata pour les tenir à l’œil.
La plaza del Potro était une petite place fermée, au centre
du quartier du même nom, où l’on essaya sans succès d’installer les trois mille
Maures qui avaient survécu à l’exode, même si la plupart d’entre eux se
retrouvèrent disséminés dans les rues adjacentes. Rares furent ceux qui purent
trouver un logement, et encore moins le payer, dans la posada del Potro, située
sur la place même, dans celle de la Madera, dans celle des Monjas ou dans
n’importe laquelle des autres posadas, nombreuses, qui existaient alentour. Le
corregidor établit des contrôles d’accès à la zone et ce fut là, dans les rues,
sous la responsabilité du conseil municipal cordouan, que les Maures
attendirent les instructions du roi Philippe sur leur destination finale.
La
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