Les révoltés de Cordoue
le
caressait, absorbée par le bébé. Elle n’avait pas adressé un seul mot à Aisha
qui l’avait laissée faire, pensant d’abord qu’Humam lui manquait et respectant
son silence, sa douleur ; mais à mesure que le temps passait et que la
jeune fille ne la regardait toujours pas, la mère d’Hernando avait pressenti
autre chose.
Fatima ne lui avait pas répondu. Elle avait serré les lèvres
pour réprimer un léger tremblement qui n’avait pas échappé à Aisha.
— Dis-moi, ma fille, avait insisté cette dernière.
— J’ai demandé le divorce, avait-elle avoué.
Aisha avait fortement inspiré.
Pour la première fois depuis que Fatima avait pris Shamir
dans ses bras, les deux femmes avaient échangé un regard. Aisha avait laissé
couler ses larmes, et Fatima avait fait aussitôt de même. Elles avaient pleuré
toutes deux un bon moment en se regardant dans les yeux.
— Finalement…, avait dit Aisha en s’efforçant de
ravaler ses sanglots, vous réussirez à fuir. Vous auriez dû le faire depuis
longtemps, à la mort d’Ibn Umayya.
— Que va-t-il se passer ?
— Tu vas enfin être heureuse.
— Je veux dire…
— Je sais ce que tu veux dire, ma chérie. Ne t’inquiète
pas.
— Mais…
Aisha avait tendu le bras et, délicatement, posé ses doigts
sur les lèvres de la jeune fille.
— Je suis contente, Fatima. Je le suis pour vous. Dieu
m’a mise à l’épreuve, et après tant de malheurs, Il m’a récompensée aujourd’hui
avec la naissance de Shamir. Toi aussi tu as souffert, et tu mérites d’être
heureuse à nouveau. Nous ne devons pas douter de la volonté de Dieu. Profite
donc des présents qu’il a décidé de t’accorder.
Mais que dira Brahim ? s’interrogeait Fatima sans
pouvoir réprimer un frisson en songeant au caractère violent du muletier.
Quand Jalil, accompagné d’Hamid et de Karim, lui communiqua
la demande de divorce de la part de sa seconde épouse, Brahim lança des
milliers de malédictions. Fatima et Aisha se protégèrent l’une l’autre, se
rapprochant autant qu’elles le purent dans un coin de la pièce. Puis, comme
s’il venait soudain de s’en apercevoir, Brahim remit en cause la représentativité
du conseil.
— Et qui êtes-vous pour décider du sort de ma seconde
épouse ? rugit-il.
— Nous sommes les chefs de la communauté, répondit
Jalil.
— Qui a dit cela ?
— Eux, intervint alors Karim, l’autre vieillard qui
portait le nom chrétien de Mateo, faisant un geste en direction de la porte.
Comme s’ils avaient répondu à un signal convenu, trois
jeunes Maures costauds apparurent à la porte et se plantèrent derrière les
membres du conseil. Brahim évalua du regard la force d’un seul d’entre eux.
— On ne devrait pas en arriver là, Brahim, dit Hamid
dans une tentative de conciliation. Tu sais bien que nous sommes les chefs de
la communauté. Personne ne nous a élus et nous ne l’avons pas proclamé non
plus ; nous n’avons pas demandé à l’être. Tu honoreras les sages. Tu
obéiras aux aînés. Ce sont les commandements.
— Que voulez-vous ?
— Ta seconde épouse, expliqua Jalil, est venue se
plaindre devant nous que tu ne l’entretiens pas convenablement…
— Et qui peut le faire dans cette ville ?
l’interrompit Brahim en criant. Si j’avais mes mules… On nous vole ! On
nous paie des salaires de misère…
— Brahim, reprit Hamid avec douceur, ne parle pas sans
savoir quelles peuvent être les conséquences de tes paroles. Face à la demande
de Fatima, nous devons lancer une procédure, et c’est ce que nous faisons.
C’est pour cette raison que nous sommes là, pour te donner l’opportunité
d’exposer ce que tu crois opportun, d’accepter les témoins qu’éventuellement tu
nous proposeras, et finalement de prendre une décision conforme à nos lois.
— Toi ? Je sais bien ce que tu vas décider. Tu
l’as déjà fait une fois, tu t’en souviens ? Dans l’église de Juviles. Tu
défendras toujours le nazaréen !
— Je n’interviendrai pas dans le jugement. Personne ne
peut le faire s’il connaît des faits antérieurs à l’affaire jugée. Sois rassuré
sur ce point.
— Brahim de Juviles, trancha Jalil pour écarter de
possibles disputes personnelles, ta seconde épouse, Fatima, se plaint que tu ne
peux pas l’entretenir. Qu’as-tu à dire ?
— À toi ? cracha Brahim. À un vieillard de
l’Albaicín de Grenade ? Qui, avec
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