Les révoltés de Cordoue
oreilles rapides et vives ; de larges naseaux, un cou
flexible et arqué, gros près du tronc et plus fin vers la nuque, avec un peu de
graisse à la naissance du crin, abondant et épais, de même que la queue ;
un bon aplomb ; un dos court, maniable ; avec un garrot saillant
ainsi qu’une croupe large et ronde.
Mais le plus important, pour le cheval espagnol, devait être
sa façon de bouger, son allure. Haut, gracile et élégant, comme s’il ne voulait
poser aucune de ses pattes sur le sol brûlant d’Andalousie et qu’il les
maintenait en l’air, les soutenant, dansant le plus longtemps possible, les
faisant voltiger au trot ou au galop, sans que la distance à parcourir semble
avoir d’importance ; luisant, fier, exhibant sa beauté au monde entier.
Pendant six ans, don Diego López de Haro, en tant que
responsable de la race, avait recherché toutes ces qualités, une à une, chez
les poulains qui naissaient dans les pâturages cordouans, afin de les croiser
de nouveau entre eux et d’obtenir des descendants chaque fois plus parfaits.
Les animaux qui ne possédaient pas les qualités requises étaient vendus comme
du bas de gamme, car dans les écuries de Cordoue se trouvaient les chevaux les
plus purs et parfaits de ce qu’on avait nommé, par disposition royale, la race
espagnole.
José Velasco confia à Hernando le soin, l’entretien et
surtout le dressage des poulains à la mangeoire. Au mois de mars, juste avant
le début du printemps et donc de la saison de monte des juments, l’écuyer royal
choisirait les poulains de un an qui seraient transférés des pâturages aux
écuries pour prendre la place de ces autres chevaux, domptés, qui partiraient
en direction de Madrid, dans les écuries royales de l’Escorial, afin d’être
remis au roi Philippe. Aucun cheval de race espagnol que don Philippe
considérait parfait n’était vendu ; ils étaient tous destinés au roi, à
ses écuries ou offerts à d’autres souverains, nobles ou hiérarques de l’Église.
Les poulains arrivaient sauvages des pâturages. Jusqu’à
l’âge de deux ans, où on leur imposait une selle et où on les montait pour la
première fois, il y avait beaucoup à faire, comme Hernando en fut informé au
cours des jours précédant la venue des animaux : il fallait parvenir à
habituer les bêtes au contact de l’homme – qu’elles se laissent toucher,
nettoyer, brider et soigner –, elles devaient aussi apprendre à rester
établées, attachées en permanence aux anneaux des murs des box, à cohabiter
avec d’autres chevaux à leurs côtés, à manger à la mangeoire, à boire à l’auge,
à obéir au licou, à marcher au pas et à accepter le mors ou le poids de la
selle, obligatoires pour monter. Tout cela était inconnu aux jeunes chevaux
qui, jusque-là, avaient vécu en liberté dans les champs, près de leurs mères.
Si, à un moment, Hernando avait éprouvé le fantasme de
monter l’un de ces fantastiques chevaux, celui-ci s’évanouit à mesure qu’on lui
expliquait quelles seraient ses tâches. En revanche, un autre de ses rêves se
réalisa : au deuxième étage des écuries royales, au-dessus des box, il y
avait une enfilade de logements à l’usage des employés. On lui octroya une
vaste habitation de deux pièces, indépendante, avec une cuisine commune à deux
autres familles. En dix-neuf ans de vie il n’avait jamais disposé d’un tel
espace pour lui tout seul ! Ni à Juviles, ni à Cordoue ! Hernando
parcourut ces deux pièces plusieurs fois. Le mobilier se composait d’une table
et de quatre chaises, d’un bon lit avec des draps et une couverture, d’une
petite commode avec une cuvette (il pourrait se laver !), et même d’un
grand coffre. Que mettraient-ils dans ce coffre ? pensa-t-il avant d’aller
à la fenêtre qui donnait sur le patio des écuries. L’administrateur des box,
qui lui avait montré son logement, revint juste au moment où Hernando ouvrait
le coffre.
— Et ton épouse ? lui demanda-t-il comme si
c’était à elle qu’il aurait dû montrer l’habitation. Sur tes papiers, il est
écrit que tu es marié.
Hernando avait préparé la réponse à cette question :
— Elle est au chevet d’un membre de notre famille qui
est malade, répondit-il avec fermeté. Pour le moment, elle doit rester auprès
de lui.
— Dans ce cas, le prévint l’administrateur, vous devrez
vous présenter sans faute à la paroisse de San Bartolomé pour vous
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