Les révoltés de Cordoue
monté sur une bonne femelle.
Devant une cruche de vin, dans une taverne proche de la
cathédrale, ils conclurent un marché : Hernando couvrirait les frais des
plaisirs du muletier. Juan s’était montré prêt à collaborer, surtout lorsque le
jeune homme lui avait expliqué les raisons de son intérêt pour le vieil esclave
impotent de la maison close.
— C’est mon père, lui avait-il dit.
— Dans ces conditions, ce sera gratuit, avait rétorqué
le muletier. Mais tu mérites de payer ton impertinence au sujet de ma virilité.
Il ne doit plus rester le moindre doute à ce propos, avait-il ironisé.
— Comment pourrais-je savoir que tu ne me trompes pas
et qu’en réalité tu ne t’es pas contenté de dormir comme un bébé sur le giron
d’une de ces femmes ? Je ne serai pas là, répondit Hernando, plaisantant à
son tour.
— Mon petit, tiens-toi plaza del Potro, à côté de la
fontaine, et même de loin, et malgré le bruit alentour, tu pourras entendre les
gémissements de plaisir…
— Il y a beaucoup de femmes dans le bordel, beaucoup de
chambres. Et si ce n’est pas la tienne qui… ?
— Mon nom, mon garçon. Tu l’entendras crier mon nom.
Hernando se souvint de lui, quand il ramait sur La Vierge Fatiguée, au retour, la barque pleine d’eau, et la distance parcourue
entre chaque coup de rame qui paraissait toujours plus courte et plus lourde.
Il était déjà petit et maigre et, pourtant, ils finissaient bien par atteindre
la berge ! Il hocha la tête avant de poursuivre, comme s’il reconnaissait
la vitalité de Juan.
— L’alguazil ne doit pas soupçonner que tu es intéressé
par… l’esclave. Il veut le vendre et le donnera pour n’importe quel prix. Bien
entendu, il ne doit pas apprendre qu’il y a des Maures derrière l’opération. Et
mon père… mon père non plus ne doit rien savoir.
Le muletier fronça les sourcils.
— Il ne veut pas que nous dépensions de l’argent pour
un vieux comme lui, expliqua-t-il. Mais je ne suis pas d’accord. Tu me
comprends ?
— Oui. Je te comprends. Laisse-moi faire.
Juan leva son verre de vin.
— Pour un monde meilleur ! trinqua-t-il.
Le lundi, à la tombée de la nuit, Juan le muletier entra
dans la maison close avec une bourse contenant plusieurs couronnes en or, que
lui avait données Hernando, se vantant d’avoir conclu, ce jour, la meilleure
opération de sa vie. L’alguazil célébra sa fortune et rit avec lui tout en lui
vantant les mérites des femmes qui travaillaient dans les petites pièces des
deux côtés de l’impasse ; certaines attendaient aux portes tout en s’exhibant.
Le muletier se décida pour une jeune fille brune bien en chair et disparut en
sa compagnie à l’intérieur d’une chambre comprenant un lit, deux chaises et un
meuble avec une cuvette.
De son côté, Hernando s’excusa auprès de don Julián et, ce
soir-là, il erra de nouveau parmi la foule qui traînait toujours sur la plaza
del Potro, éprouvant une certaine nostalgie à entendre les cris, les
plaisanteries, les paris, et même à assister aux querelles habituelles.
Depuis un peu plus d’un an, la plaza del Potro et ses
environs étaient plus peuplés que jamais. Aux vagabonds habituels, joueurs de
cartes invétérés, aventuriers, soldats sans commandant ou commandants sans
soldats – toutes sortes de gens désœuvrés attirés par elle comme par un
phare –, aux pauvres et aux malheureux qui y faisaient halte pour la nuit,
sur leur route, par le chemin de las Ventas, pour la riche et luxueuse cour de
Madrid afin d’obtenir quelque prébende, et à ceux qui se dirigeaient vers
Séville avec l’intention d’embarquer pour les Indes afin d’y chercher fortune,
s’était ajouté un très grand nombre d’indésirables que le vice-roi de Valence
avait expulsés sans ménagement de leurs terres, et qui avaient émigré en
Catalogne, en Aragon, à Séville – où rares étaient ceux qui pouvaient encore
survivre – et à Cordoue.
Hernando se mit dans la peau d’un de ces personnages.
— Tu fais confiance au muletier ? lui avait
demandé Fatima en lui remettant les quinze ducats en or jalousement gardés au
fond du coffre, dans une bourse près du Coran.
Lui faisait-il confiance ? Voilà des années qu’il
n’avait plus affaire à lui.
— Oui, répondit-il, convaincu par les souvenirs qui
cognaient dans sa tête.
Il faisait davantage confiance à ce débauché qu’à
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