Les révoltés de Cordoue
une minute, lui
conseilla Juan en le pressant.
— Les enfants ! cria Hernando, mettant son pied
gauche à l’étrier et passant lestement sa jambe droite par-dessus la croupe de
son cheval. On rentre.
Il les souleva l’un après l’autre pour les faire monter.
— Si tu apprends quoi que ce soit…, ajouta-t-il alors à
l’attention de Juan.
Le muletier hocha la tête avec un sourire qui découvrit ses
gencives.
— Azirat est malade, dit-il à Francisco qui se
plaignait de ne pas continuer la promenade.
Autour de sa taille, il sentit la pression des mains de
Shamir, comme s’il ne croyait pas à cette excuse adressée au petit.
— Tu ne voudrais pas qu’il soit encore plus malade,
n’est-ce pas ? insista-t-il cependant pour tâcher de calmer Francisco.
Aux écuries, pendant que les deux garçons aidaient le valet
à déharnacher le cheval, Hernando alla prévenir Abbas de ce qu’il venait
d’apprendre, puis il courut calle de los Barberos.
— Je ne veux pas voir une seule feuille de papier dans
cette maison ! ordonna-t-il à Fatima, à sa mère et surtout à Hamid, qu’il
pointa du doigt.
Ils s’enfermèrent à l’abri des enfants, dans une des pièces
de l’étage, et Hernando expliqua aux autres, troublé, ce que Juan lui avait
raconté. L’uléma tenta de protester, mais Hernando l’en empêcha :
— Pas une seule, Hamid, tu m’entends ? Nous ne
pouvons pas courir ce risque, ni pour nous, ni pour eux, ajouta-t-il avec un
geste en direction du patio, où l’on pouvait entendre les rires des petits. Ni
pour tous les autres.
Fatima intervint alors :
— Et le Coran ?
Ils possédaient toujours l’exemplaire que leur avait donné
Abbas.
Hernando réfléchit quelques instants.
— Brûle-le !
Tous trois le regardèrent, abasourdis.
— Brûle-le ! insista-t-il. Dieu ne nous en tiendra
pas rigueur. Nous travaillons pour Lui et nous ne Lui servirons plus à rien si
nous sommes arrêtés.
— Pourquoi ne pas le cacher loin de… ? tenta
Aisha.
— Brûlez-le ! Et faites disparaître les cendres. À
partir de maintenant… dès que vous aurez tout brûlé, se corrigea-t-il, je veux
voir la porte du vestibule ouverte. Nous suspendrons les classes des enfants
jusqu’à nouvel ordre. Et toi, Fatima, cache ton collier où personne ne pourra
le trouver. Je ne veux pas non plus d’encoches dans les murs en direction de La
Mecque.
— Je ne peux pas les enlever, allégua Hamid.
— Alors fais-en d’autres, plein d’autres, dans toutes
les directions. Je suis sûr que tu te rappelleras toujours quelle est la bonne.
Je dois aller à la mezquita… mais il faut également prévenir Karim et Jalil, en
particulier Karim.
Il observa les trois autres. Pouvait-il avoir confiance en
eux ? Être certain qu’ils suivraient ses instructions et n’essaieraient
pas aussi de cacher ce Coran qu’ils avaient lu tant de nuits ?
— Viens, dit-il à Fatima en lui tendant la main.
Ils sortirent de la pièce et s’appuyèrent sur la balustrade
de la galerie située à l’étage. Les enfants jouaient en bas, autour de la
fontaine. Ils riaient, couraient et essayaient de s’attraper les uns les autres
tout en s’aspergeant d’eau. Ils restèrent à les contempler en silence, jusqu’au
moment où Inés perçut leur présence ; elle tourna le visage vers eux,
montrant ses yeux noirs fendus, identiques à ceux de sa mère. Aussitôt,
Francisco et Shamir l’imitèrent et, comme s’ils avaient conscience de la
transcendance du moment, les trois enfants soutinrent leurs regards. Pendant
quelques minutes, de la même façon que montaient, mêlés, la fraîcheur du patio
et le parfum des fleurs, un courant de vie et de joie, d’innocence, se déplaça
du patio à la galerie supérieure. Hernando serra la main de Fatima alors que sa
mère, derrière lui, posait la sienne sur son épaule.
— Nous avons souffert de la faim et de tant de pénuries
avant d’arriver ici, dit-il, rompant l’enchantement. Nous ne pouvons pas
commettre d’erreurs maintenant.
Il se redressa soudain. Il devait se fier à eux !
— Tâchez de ranger la maison, ordonna-t-il à
l’attention de Fatima et d’Aisha. Père, ajouta-t-il en s’adressant à Hamid,
j’ai confiance en toi.
Il arriva à la cathédrale avant la fin des offices chantés
des vêpres. La musique de l’orgue et les cantiques des novices qui étudiaient
chez les jésuites inondaient l’enceinte, s’insinuant entre
Weitere Kostenlose Bücher