Les révoltés de Cordoue
l’or, à cause
des guerres ou du commerce, sortait d’Espagne à profusion. Les intérêts payés
par le roi à ses banquiers dépassaient quarante pour cent, et la vente de
bulles et d’indulgences, grâce auxquelles se finançaient aussi bien Rome que
l’Espagne, ne suffisait pas. Les hidalgos, le clergé et de nombreuses villes ne
payaient pas d’impôts et la totalité du coût fiscal retombait sur les
campagnes, les travailleurs ou les artisans, ce qui les appauvrissait davantage
et empêchait le développement du commerce, en un cercle vicieux où la solution
semblait hors de portée.
En 1580, la situation économique s’aggrava : après la
mort à Alcazarquivir du roi Sébastien du Portugal lors d’une vaine tentative
pour conquérir le Maroc, son oncle, le roi Philippe d’Espagne, réclama ses
droits successoraux au trône du Portugal et, comme le bras populaire s’opposait
à son couronnement, il prépara l’invasion du royaume voisin avec une armée
commandée par le vieux duc d’Albe, qui avait alors soixante-douze ans. En plus
du Brésil, le Portugal dominait la route commerciale des Indes orientales et
régnait sur toute la côte africaine, de Tanger à Mogadiscio. Avec l’union du
Portugal, l’Espagne deviendrait le plus grand empire de l’histoire.
Toutes ces énormes dépenses affectaient les écuries royales
qui, alors que Philippe II continuait à s’offrir à lui-même ainsi qu’à ses
favoris et aux cours étrangères de magnifiques exemplaires de la nouvelle race,
souffraient d’un manque de fonds que don Diego López de Haro ne cessait de
réclamer à la junte des Travaux et Forêts, chargée de les leur fournir.
Pour cette raison, une partie du salaire due aux écuyers et
aux employés avait été payée sous la forme de poulains rejetés des écuries. La
seule condition posée était que si, en grandissant, ils intéressaient le roi,
ils lui seraient rendus, ce qui se passait rarement étant donné la quantité de
chevaux qui naissaient chaque année, et le fait que les employés ne tardaient
pas à les vendre pour obtenir de l’argent. Avec la seule vente de huit chevaux
des écuries du roi, on acquerrait trente bons exemplaires de guerre pour
l’armée cantonnée sur la place d’Oran !
Mais Hernando
n’était pas disposé à vendre Azirat, le cheval qu’on lui avait donné contre une
partie de son salaire ; son mode de vie était austère et ses besoins
réduits. Dans les pâturages, quand on avait ferré les poulains au feu et qu’on
les avait recensés dans le livre de registre, on l’avait appelé Andarín [9] pour l’élégance de ses mouvements, mais il était né avec une robe d’un rouge
ardent, brillant, qui ne convenait pas aux goûts des courtisans ; la robe
alezane n’était pas admise dans la nouvelle race.
Andarín, avec cette couleur de feu qui révélait colère,
impétuosité et vitesse, avait captivé Hernando dès l’instant où il l’avait vu
bouger.
— Je vais l’appeler Azirat, avait-il confié à Abbas
sans prononcer le « z » espagnol.
Il avait employé la cédille et marqué le
« t » : açiratt.
Abbas avait froncé les sourcils, tandis qu’Hernando
confirmait d’un hochement de tête. Le pont de l’açiratt ; le pont d’accès
au ciel, long et mince tel un cheval, qui s’étendait au-dessus de l’enfer et
que les bienheureux franchiraient comme un rayon alors que les autres
tomberaient dans le feu.
— Non seulement ça porte malheur de changer le nom
d’origine d’un cheval, avait répliqué le maréchal-ferrant, mais dans certains
cas ça peut même être puni de mort. Les étrangers qui commettent ce délit sont
condamnés à la peine capitale.
— Je ne suis pas un étranger et ce cheval serait capable
de galoper sur un long cheveu délicat, avait-il rétorqué, négligeant
l’avertissement de son ami. Sans tomber ni le rompre. On dirait qu’il ne touche
pas le sol… Qu’il flotte dans l’air !
À vingt-six ans, Hernando était le chef d’un clan familial
et l’un des membres les plus considérés et les plus influents de la communauté
maure. Il vivait toujours entouré de gens, tourné vers les autres. Azirat lui
offrit des moments de liberté dont il n’avait jamais bénéficié au cours de son
existence. Ainsi, dès qu’il en avait l’occasion, il équipait son cheval et
sortait dans la campagne en quête de solitude, chevauchant parfois les
pâturages au pas, tranquillement,
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