Les révoltés de Cordoue
pourri,
auquel elle était cousue, avec un léger bruit. Hernando se retrouva la serrure
à la main. Il hésita quelques instants, puis s’agenouilla de nouveau et ouvrit
solennellement le couvercle.
Alors il éclaira l’intérieur, et découvrit plusieurs livres
écrits en arabe.
45.
Cesare Arbasia vivait seul dans une maison près de la
cathédrale, dans l’ancien quartier des marchands de soie. Le soir où il invita
Hernando à dîner, il eut la courtoisie d’éviter le lard, ainsi que les radis,
les navets ou les carottes, alimentation que les Maures détestaient,
l’associant à celle des marranes.
— Ce que je n’ai pu obtenir, lui avoua le peintre avant
de passer à table, alors qu’ils sirotaient tous deux une citronnade dans la
galerie donnant sur un patio merveilleusement entretenu, c’est que le mouton
soit sacrifié selon vos lois.
— Cela fait bien longtemps que nous ne pouvons plus
nous permettre cela. Nous avons vécu protégés par la taqiya. Dieu le
comprendra. À de rares occasions seulement, dans la solitude des fermes isolées
dans les campagnes, certains de nos frères parviennent à respecter la
tradition.
Les deux hommes croisèrent leurs regards en silence. Le
parfum des fleurs de cette nuit de printemps embaumait. Hernando but une gorgée
de citronnade et se laissa emporter par les fragrances, vers le souvenir d’un
autre patio semblable et les rires de ses enfants qui jouaient avec l’eau. Le
matin même, il avait découvert le dernier visage qu’Arbasia avait peint sur la
fresque de la sainte Cène ornant la chapelle du Sanctuaire. La peinture
apparaissait sur le fronton de la niche destinée à garder le corps du Christ,
le lieu principal. Hernando n’avait pu quitter des yeux le personnage assis à
gauche du Seigneur, qui l’étreignait. On aurait dit… une femme !
— Il faut que je te parle, avait-il dit à Arbasia, les
yeux rivés sur la silhouette de cette femme.
— Attends. Pas ici, avait répondu le peintre, qui avait
suivi le regard du Maure et deviné son trouble.
C’est alors que, pour la première fois, il l’avait invité à
dîner chez lui.
Bercés par la rumeur constante de la fontaine, ils bavardèrent
un moment avant que le maestro prenne l’initiative :
— De quoi voulais-tu me parler ? C’est au sujet de
ma peinture ?
— Je croyais que, lors du dernier repas, seuls les
douze apôtres étaient présents. Pourquoi as-tu représenté une femme qui serre
Jésus dans ses bras ?
— Il s’agit de saint Jean.
— Mais…
— C’est saint Jean, Hernando, n’insiste pas.
— D’accord, céda Hernando. Alors écoute-moi, car je
veux te raconter quelque chose. Il y a un mois environ, j’ai trouvé dans
l’ancien minaret du palais du duc les copies en arabe de plusieurs livres,
ainsi que la note d’un scribe de la cour des califes. Depuis deux ans que je
vis dans la maison du duc, j’ai beaucoup lu. Al-Mansûr, que les chrétiens
appellent Almanzor, fut caudillo du calife Hisham II et le plus grand
général musulman de l’histoire de la Cordoue musulmane. Il a fini par attaquer
Barcelone et même Saint-Jacques-de-Compostelle, où il a laissé son cheval
s’abreuver à l’intérieur de la cathédrale. De là il a fait transporter les
cloches jusqu’à Cordoue, sur les épaules des chrétiens, afin de les fondre et
de les transformer en lampes pour la mezquita ; plus tard, le roi
Ferdinand le Saint vengea cet affront.
Arbasia écoutait attentivement en buvant sa citronnade.
— Mais al-Mansûr fut aussi un religieux fanatique, ce
qui le poussa à commettre des actes de violence à l’encontre de la culture et
de la science. Le père du calife, al-Hakam II, avait été un des califes
les plus sages de Cordoue. Une de ses préoccupations avait été de rassembler à
Cordoue le savoir de l’humanité. Il avait envoyé des émissaires aux confins du
monde pour qu’ils achètent tous les livres et les traités scientifiques qu’ils
pouvaient trouver. Il réunit une bibliothèque de plus de quatre cent mille
volumes. Tu imagines ? Quatre cent mille volumes ! Plus de livres que
dans la bibliothèque d’Alexandrie ou celle qui se trouve aujourd’hui dans la
Rome des papes.
Hernando fit une pause pour boire et s’assurer de l’effet
que ses paroles produisaient sur le maestro, qui acquiesçait légèrement, comme
s’il imaginait une telle merveille de savoir.
— Eh bien, continua-t-il, hormis les livres
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