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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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avait vu avec effroi le duc lui faire un clin d’œil avant de se laver les
mains avec.
    Doña Lucía ne pensait pas pouvoir tolérer à sa table ce
manquement aux usages. À la fin du repas, le Maure avait été convoqué dans un
petit salon privé où les ducs l’attendaient ; don Alfonso assis dans un
fauteuil, le regard un peu bas, gêné, comme s’il avait dû se plier aux
exigences de son épouse avant l’entrée du Maure. À l’inverse, doña Lucía
l’attendait debout, hautaine, vêtue de noir jusqu’au col d’où sortaient de
délicates petites pointes blanches. Hernando n’avait pu s’empêcher de la
comparer aux femmes musulmanes, qui se cachaient devant les étrangers.
Contrairement à elles, et à l’instar de toutes les nobles chrétiennes, doña
Lucía se montrait devant les gens, même si, comme toute femme réservée, elle
s’efforçait de dissimuler ses attraits : elle bandait sa poitrine, qu’elle
enserrait dans de fines lamelles de plomb, et tâchait de donner à sa peau une
teinte hâve, ingérant dans ce but régulièrement de l’argile.
    — Hernando, nous ne pouvons pas… !
    Le duc s’était raclé la gorge. Doña Lucía avait soupiré et
pris un ton affable.
    — Hernando… le duc et moi-même aimerions beaucoup que
tu apprennes les bons usages.
    On lui avait assigné le plus âgé des parents qui vivaient
dans le palais, un hidalgo tiré à quatre épingles prénommé Sancho, cousin du
duc, qui avait accepté la mission à contrecœur. Pendant presque un an, don
Sancho lui avait appris à utiliser l’argenterie, à se comporter en public, à
s’habiller ; il s’était même employé à corriger sa diction en aljamiado
qui, à l’instar de tous les Maures, souffrait de certains défauts phonétiques,
parmi lesquels la tendance à transformer les « s » en
« x », et inversement.
    Il avait supporté stoïquement les cours que lui avait donnés
chaque jour don Sancho. À cette époque, l’apathie d’Hernando était telle qu’il
n’avait même pas l’impression d’être humilié, traité comme un enfant. Il
obéissait simplement sans réfléchir, jusqu’au jour où, joyeusement, comme si
cela lui faisait plaisir, l’hidalgo s’était proposé de lui apprendre à danser.
    — Pas jetés, sauts, avait-il annoncé à voix haute tout
en marchant avec affectation dans le salon où ils étudiaient. Entrechats, pas
chassés, avait récité don Sancho qui bondissait maladroitement et traçait un
cercle avec son pied. Cabrioles.
    Au moment des cabrioles, Hernando lui avait tourné le dos et
avait quitté la pièce en silence.
    — Balancés, fouettés…, avait continué l’hidalgo.
    À partir de ce jour, doña Lucía avait considéré que le Maure
pouvait désormais vivre avec eux. Elle avait compris qu’il serait très
difficile d’améliorer son art de la danse, et avait estimé son instruction
terminée. Malgré cela, ses nouvelles manières n’avaient pas infléchi le rejet
dont il était victime dans le palais dès que don Alfonso s’absentait.
     
    Le soir du vendredi où Hernando avait avoué à Arbasia qu’il
ne pouvait pas trouver Dieu dans ses images, ils dînèrent au palais du poisson
frais apporté par les pêcheurs du Guadalquivir. Les jours d’abstinence, les conversations
des quatorze commensaux étaient plus sobres et sérieuses que lorsqu’ils
dégustaient de la viande et du lard. Il était de notoriété publique que
beaucoup d’entre eux, parmi lesquels il fallait inclure le prêtre, se rendaient
ensuite aux cuisines pour s’empiffrer de pain, de jambon et de boudin. Au cours
du dîner, Hernando ne prêta aucune attention aux paroles qu’échangèrent les
hidalgos, le chapelain ou doña Lucía, qui présidait majestueusement la longue
table. En retour, eux non plus ne firent grand cas de lui.
    Il avait envie de se rendre à la bibliothèque, où il se
réfugiait tous les soirs entre les trois cents et quelques livres entassés par
don Alfonso, et c’est ce qu’il fit, dès que la duchesse déclara le repas
terminé. Par chance pour lui, il avait été exclu des longues veillées nocturnes
au cours desquelles on chantait ou lisait à voix haute. Il traversa différentes
pièces et deux patios avant d’arriver à ce qu’on appelait le patio de la
bibliothèque, derrière lequel se trouvait la grande salle de lecture. Depuis
plusieurs jours il était plongé dans la lecture de La Araucana, dont la
première partie avait été

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