Les révoltés de Cordoue
Pedro
de Granada serait levé, pensa Hernando.
Le noble le reçut seul, dans la salle à manger où il
dévorait un chapon.
— Qu’est-ce qui t’amène si tôt par ici ?
Assieds-toi et accompagne-moi, l’invita-t-il en faisant un geste en direction
des autres plats posés sur la table.
— Merci, Pedro, mais je n’ai pas faim, répondit-il en
s’asseyant près du noble. Je rentre à Cordoue, et auparavant il faut que je te
parle.
Hernando désigna du regard les deux domestiques qui
servaient à table. Don Pedro leur ordonna de quitter la pièce.
— Je t’écoute.
— J’ai besoin que tu me rendes un service. J’ai eu un
différend avec don Ponce.
Don Pedro arrêta de manger et acquiesça, comme s’il n’était
pas surpris.
— Comme tous les petits magistrats, c’est un homme
retors, affirma-t-il.
— Je crains qu’il ne cherche à se venger de moi.
— L’affaire est si grave ?
Hernando hocha la tête.
— Mauvais ennemi, conclut l’aristocrate.
— J’aimerais que tu sois au courant de ce qu’il fait,
de ce qu’il dit à mon sujet, et que tu me tiennes informé. Il pourrait essayer
de me nuire auprès du conseil de la cathédrale. J’ai pensé que tu devais le
savoir.
Le seigneur de Campotéjar posa les coudes sur la table, puis
le menton sur ses mains, les doigts croisés.
— Je serai attentif. Ne t’en fais pas, promit-il.
Puis-je connaître la cause du problème ?
— Elle n’est pas difficile à imaginer… quand on vit
sous le même toit qu’une beauté comme l’épouse du juge.
Le noble flanqua un coup de poing sur la table, renversant
deux verres de vin. Alors qu’il en assénait un second, don Pedro éclata de
rire. Les serviteurs entrèrent, étonnés, mais l’aristocrate les renvoya entre
deux hoquets.
— Cette femme était aussi imprenable que
l’Alhambra ! Combien ont essayé, sans succès ! Moi-même…
— Je te supplie d’être discret, le coupa Hernando pour
le calmer, tout en se demandant s’il avait bien fait de lui raconter ses
amours.
— Bien sûr. Enfin quelqu’un a remis le juge à sa place,
rit-il de nouveau, en le touchant à l’endroit le plus douloureux. Sais-tu
qu’une grande partie de la fortune de don Ponce provient des spoliations qu’ont
subies les Maures quand les greffes ont ressorti d’anciens procès et exigé
d’eux les titres de propriété des terres qui leur appartenaient depuis des
siècles ? Son père travaillait alors comme greffier à la chancellerie et,
à l’instar de beaucoup d’autres, il en a profité. Désormais il a de l’argent et
brigue le pouvoir à travers la protégée de los Vélez. Un scandale de ce type ne
l’arrange pas.
— Je ne t’attirerai pas d’ennuis ?
Le visage de don Pedro s’altéra.
— Nous en avons tous, n’est-ce pas ?
— Oui, confirma Hernando.
— Tu resteras en contact avec nous ?
— N’aie aucun doute là-dessus.
50.
« Quelles reliques désirez-vous, en plus de
celles que vous avez dans ces montagnes ? Prenez une poignée de terre,
pressez-la et le sang des martyrs coulera. »
Le pape Pie IV
à l’archevêque de Grenade,
Pedro Guerrero,
qui sollicitait des reliques pour la ville
Quand il rentra de Grenade, Hernando gardait encore l’espoir
que la communauté maure de Cordoue ait adouci sa position à son égard. Mais cet
espoir s’évanouit aussitôt : grâce à la lettre envoyée par le juge à don
Alfonso, la nouvelle de sa participation à l’étude des martyrs chrétiens des Alpujarras
l’avait précédé. La sollicitude de l’archevêque avait été commentée parmi la
cour de gens entretenus par le duc, et elle était rapidement parvenue aux
oreilles d’Abbas par l’entremise des esclaves maures du palais.
Quelques jours après son retour, cédant à l’insistance
d’Hernando, sa mère consentit à lui parler. Il la trouva vieillie et abattue.
— Tu es l’homme, déclara-t-elle sur un ton inexpressif
lorsque Hernando se présenta à la soierie. La loi exige que j’obéisse malgré
moi.
Ils se retrouvèrent tous deux dans la rue, à quelques pas de
la fabrique où travaillait Aisha.
— Mère, supplia Hernando, ce n’est pas ton obéissance
que je recherche.
— C’est bien toi qui as fait augmenter mon salaire
journalier, n’est-ce pas ? Le maître n’a pas voulu me donner d’explications.
Aisha fit un geste vers la porte. Hernando se retourna et
vit le tisserand, qui le salua de
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