Les révoltés de Cordoue
qu’il n’obtenait pas avec son épouse. Il songea à les tuer tous les
deux.
À l’aube, le corps en sueur apaisé par la fraîcheur nocturne
qui venait du jardin, don Ponce décida de ne pas adopter une mesure aussi
drastique que l’exécution des amants. S’il tuait Isabel, il perdrait la dot
importante que lui avait accordée los Vélez pour leur mariage, mais aussi, et
c’était le plus important, son influence dans l’entourage du monarque et de ses
divers conseils dont il ne voulait pas faire abstraction : compter sur la
protection de quelques grands d’Espagne comme los Vélez lui convenait bien.
Seuls les très riches, les très pauvres ou les fous pouvaient se permettre de
tout perdre pour leur honneur. Il n’appartenait à aucune de ces catégories.
Accuser d’adultère la protégée des marquis lui apparut alors comme un pari
beaucoup trop risqué, sans parler de la honte. Toutefois, il n’était pas
question non plus de laisser sa maison abriter le vice… Maudit Maure, fils de
pute ! Il l’avait traité comme un hidalgo, avait organisé une fête en son
honneur… Et il était impossible qu’il se venge de lui sans que cet acte
légitime donne prise à de mordants commentaires. Aux yeux de tous, le Maure
était un héros ! Le sauveur des chrétiens ! Le protégé du duc de
Monterreal… Cette nuit-là, don Ponce ne put trouver le sommeil, mais au matin
sa décision était prise : Isabel ne quitterait plus sa chambre. Le juge
prétendit qu’elle était alitée, souffrante. La jeune femme resta donc recluse
jusqu’au moment où, le matin même, appelée en urgence, se présenta à la villa
doña Angela, cousine de don Ponce, veuve austère, sèche et patibulaire, qui,
dès qu’elle eut franchi la porte, se chargea de la surveillance d’Isabel.
Après une brève conversation avec le juge, doña Angela se
mit au travail : la jeune camériste d’Isabel disparut dans la journée.
Quelqu’un raconta ensuite l’avoir vue dans les geôles de la chancellerie,
accusée de vol. L’après-midi, sous prétexte qu’elle lui avait manqué de
respect, la veuve ordonna le fouet pour la domestique qui avait exigé des
plaisirs d’un esclave maure. Et qu’un autre serviteur soit privé d’une partie
de son salaire car il ne travaillait pas de manière satisfaisante.
Une seule journée suffit pour que tous les domestiques
comprennent le message clair du magistrat et de sa cousine. Ils étaient
impuissants : la loi établissait que, à moins d’être expressément
congédié, aucun d’entre eux, sous peine de vingt jours d’emprisonnement et d’un
an d’exil, ne pouvait quitter la villa sans l’autorisation de don Ponce pour
servir dans une autre maison de Grenade ou de ses environs. Celui qui le
faisait, qui s’en allait sans le consentement du juge, n’avait plus qu’à
émigrer ou à trouver une place de journalier. Et, à la vérité, dans la maison
du magistrat, on ne manquait jamais de nourriture.
Mais les serviteurs ne furent pas les seuls à subir le
caractère rébarbatif de la cousine de don Ponce : don Sancho et Hernando
ne purent ignorer non plus le bouleversement. Doña Angela s’arrangea afin que
toutes ses décisions soient suffisamment publiques pour être perçues du Maure.
En fin d’après-midi, juste avant le coucher du soleil, elle ordonna à Isabel de
quitter sa chambre, vêtue de noir, tout comme elle, et la promena dans les
jardins de la villa aux yeux de tous, mais principalement d’Hernando, lui
annonçant ainsi qu’il ne pourrait jamais plus s’approcher de la jeune femme en
privé.
Lorsque, à l’instar d’Hernando, don Sancho vit Isabel sous
la stricte vigilance de doña Angela, il comprit que l’affaire était arrivée aux
oreilles du juge. Par deux fois il avait croisé don Ponce dans la villa et
celui-ci non seulement n’avait pas eu la courtoisie de répondre à son salut,
mais il avait détourné le visage. Don Sancho n’attendit pas une minute de plus
pour affronter Hernando.
— Nous partirons demain matin, sans discussion, lui
ordonna-t-il.
Hernando restait pensif.
— Tu ne comprends pas ? cria l’hidalgo. Que
crois-tu ? Pour le peu de respect ou… quel que soit le sentiment que tu
éprouves pour cette femme, tu dois t’éloigner d’elle. Tu ne la reverras plus en
tête à tête. Ne te rends-tu pas compte ? Le juge a tout découvert et il a
pris des mesures.
Le noble laissa passer quelques instants.
— Si ta vie
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