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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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ensemble, comme s’ils ne
formaient plus qu’un seul être, sans peur. Shamir a ordonné à Abdul de se
mettre en retrait, de le laisser seul, et mon petit lui a obéi, se postant
derrière lui, dans un mouvement qu’ils paraissaient avoir réalisé des milliers
de fois. « Chien ! » a de nouveau crié Shamir à Nasi, en tenant
fermement son alfange devant lui. « Porc pouilleux ! » Fou de
rage, Nasi s’est élancé sur Shamir, mais celui-ci, comme un félin, a esquivé
l’attaque, frappé l’alfange de Nasi et détourné son coup. Je me souviens… que
le bruit des fers s’entrechoquant a fait trembler les colonnes du patio. Ce fut
comme un signal pour que mon petit Abdul, à son tour, intervienne et assène un
autre coup sur l’alfange de Nasi, dont l’arme est alors tombée des mains. En une
seconde, les garçons ont repris leur position, dagues pointées, souriant. Ils
souriaient ! Comme si le monde était à leurs pieds. « Si tu ne veux
pas mourir comme le marrane que tu es, reprends ton arme et essaie de combattre
comme un vrai croyant », a dit Shamir au corsaire…
    Fatima se tut et regarda le patio. Elle revivait la scène.
    — Madame…, continuez, l’enjoignit le juif devant son
silence prolongé.
    Fatima sourit avec nostalgie.
    — Le tumulte a alerté Brahim, reprit-elle, qui est
alors apparu dans le patio en traînant des pieds, afin d’arrêter la bagarre et
de châtier Shamir et Abdul. « Comment osez-vous affronter mon lieutenant
dans ma propre maison ? » a-t-il crié. « Racaille », a-t-il
ajouté en crachant par terre. Mais j’avais vu l’univers qui s’ouvrait sous les
yeux de mon fils et de Shamir, ce monde auquel ils souriaient, altiers et sûrs
d’eux, comme les hommes qu’ils étaient devenus… Jour après jour, grâce à la
force de mes garçons, j’ai recouvré mon amour-propre, et quelques soirs plus
tard, alors qu’ils dînaient tous les quatre, désarmés, assis sur des coussins
autour d’une table basse, je suis entrée dans la salle à manger et j’ai renvoyé
domestiques et esclaves. Je me rappelle le regard surpris de Brahim. Il ne
pouvait deviner ce qui allait se passer. « Je dois traiter d’une affaire
urgente avec vous », ai-je dit avec aplomb. Alors j’ai sorti deux dagues
que j’avais cachées sous mes vêtements. J’en ai lancé une à Shamir et j’ai
empoigné l’autre. Nasi s’est levé rapidement, mais Brahim a été incapable de
réagir et, avant que son lieutenant ne parvienne jusqu’à moi, j’ai enfoncé la
lame dans sa poitrine.
    À ce moment-là, Fatima défia le juif du regard. Sa voix
était froide, sans expression.
    — Shamir n’a pas tout de suite compris ce qui arrivait,
mais ensuite il a intercepté Nasi en le menaçant de sa dague. Abdul aussi a
fondu sur lui.
    Fatima se tut quelques instants. Quand elle reprit la
parole, sa voix, qui avait baissé d’un ton, n’était plus qu’un murmure. Le
vieux commerçant la contemplait, impassible. Quels autres secrets cachaient ces
beaux yeux noirs ?
    — Brahim n’est pas mort de cette première blessure. Je
suis seulement une femme faible et inexpérimentée. Mais mon coup de couteau avait
suffi pour le faire tellement souffrir qu’il ne pouvait plus se défendre. Je
l’ai frappé une deuxième fois à la bouche pour l’empêcher de crier, puis j’ai
sectionné son moignon avant d’y enfoncer la dague presque jusqu’au coude. Il a
mis du temps à se vider de son sang. Beaucoup de temps…, susurra-t-elle. Il
suppliait. Toute une vie de souffrance m’est revenue en mémoire pendant que je
regardais la sienne s’échapper. Je ne l’ai pas quitté des yeux jusqu’à ce qu’il
expire. Il est mort saigné, comme les porcs.
     
    — Mère ! Qu’as-tu fait ? s’était écrié Abdul.
    Les yeux écarquillés, le garçon contemplait Brahim qui
s’était affalé sur les coussins, la main gauche sur sa poitrine, le sang
giclant de sa blessure.
    Fatima n’avait pas répondu. Elle s’était contentée
d’esquisser un geste de la main pour qu’ils gardent le silence tandis que
Brahim agonisait sur les luxueux coussins en soie qui recouvraient le sol de la
pièce.
    — Shamir, avait-elle dit d’une voix ferme quand son
époux haï avait expiré, à partir d’aujourd’hui tu es le chef de la famille.
Tout est à toi.
    Le jeune garçon, qui pressait toujours sa dague sur le cou
de Nasi, n’arrivait pas à détacher les yeux de son père. De son

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