Les révoltés de Cordoue
fait-on ? Il aurait aimé courir jusqu’à la villa du
magistrat, escalader le mur et se glisser dans la chambre d’Isabel…
Le traducteur le secoua.
— Que fait-on ? demanda-t-il encore, cette fois en
élevant un peu la voix.
Hernando se concentra de nouveau sur la place.
— C’est beaucoup trop surveillé, répéta Castillo.
Un noble et deux intellectuels ! Que pouvait-il
attendre d’eux ?
— En effet, confirma Hernando. On dirait qu’il y a pas
mal de vigiles, mais ils ne surveillent probablement pas la Turpiana. Elle ne
présente aucun intérêt pour eux. Ils sont plus attentifs à la cathédrale. Voici
quelle va être votre mission…
Il réfléchit quelques instants.
— Contournez le temple et de l’autre côté, après la
calle de la Cárcel, masqués, simulez une dispute. Au moment où j’entendrai vos
cris, j’entrerai et je monterai dans la tour.
Les trois hommes, ne cachant pas leur soulagement devant la
proposition d’Hernando, se hâtèrent en direction de la plaza de Bibarrambla
jusqu’à la calle de la Cárcel, sous la cathédrale. Dès qu’il se retrouva seul,
Hernando se remit à penser à Isabel. Ne pourrait-il jamais plus parler avec
elle ? Mais, en réalité, désirait-il vraiment la revoir ? Ces
sentiments n’étaient-ils pas seulement un mirage provoqué par la lumière
ensorcelante de l’Alhambra ? Il ferma les yeux et soupira.
Des cris le ramenèrent sur terre.
« Santiago ! » entendit-on dans la nuit. Hernando ne réfléchit
pas davantage. Il bondit jusqu’à la façade de la mosquée, se colla dos au mur
et se glissa à l’ombre des torches. La tour ne possédait pas d’entrée sur la
place. On pouvait certainement y accéder depuis l’édifice. Il dépassa la
Turpiana et se retrouva dans l’espace ouvert où l’on construisait le transept
et la nef. Plusieurs feux étaient placés près de la façade ouverte du temple,
et les gardiens, debout, étaient concentrés sur les cris et le cliquetis des
épées en provenance de la calle de la Cárcel. Il contourna la Turpiana et là
même, entre les fondations, il découvrit l’accès à la tour. Quasiment de
profil, il grimpa par un étroit escalier intérieur d’un peu plus de deux paumes
de large et accéda au sommet. Les cris de don Pedro et de ses compagnons
continuaient, mais là, tout en haut, il ne les entendit plus. Il pouvait voir
l’Alhambra et tout Grenade ! Combien de fois avait-on appelé les fidèles à
la prière depuis cet endroit ! « Allah est grand ! »
s’exclama-t-il, le coffret dans les mains. À la lumière de la lune il chercha
une pierre de taille à part, déjà un peu démontée. Il en trouva une, la
déplaça, gratta le plâtre qui unissait les pierres entre elles et introduisit
dans le trou le coffret goudronné. Puis il replaça la pierre. Il descendit et
reprit le chemin du quartier de la soie, d’où il se dirigea vers la Bibarrambla
et la calle de la Cárcel pour mettre fin à la supposée bagarre.
53.
Au début du mois de mai 1588, quelques jours avant que
l’armada espagnole ne lève l’ancre depuis Lisbonne à la conquête de
l’Angleterre, Philippe II écrivit à l’archevêque de Grenade pour le
remercier de son cadeau, cette moitié du voile de la Vierge Marie qu’il lui
avait fait parvenir à l’Escorial. Dans le même temps, au nom de ses royaumes,
il se félicitait de l’apparition de si précieuses reliques. Peu après que les
ouvriers qui démolissaient la Turpiana eurent trouvé le coffret caché par
Hernando contenant le parchemin signé par san Cecilio, le voile de la Vierge et
la relique de san Esteban, la ferveur chrétienne grenadine explosa. C’étaient les
premières nouvelles, si désirées, de san Cecilio. Et la certitude qu’avant
l’arrivée des musulmans Grenade était aussi chrétienne que n’importe quelle
autre capitale du royaume provoqua dans le peuple une irruption d’extase et de
mysticisme que l’Église ne chercha en aucune façon à apaiser. Nombreux furent
ceux qui, dès lors, jurèrent avoir assisté à des miracles, des feux mystérieux,
des apparitions et à tout type de phénomène prodigieux. La cathédrale de
Grenade disposait désormais de ses reliques, et la foi de ses habitants pouvait
se nourrir d’autre chose que de mots !
Aisha fut frappée d’étonnement : juste au moment où
elle allait lui donner une pièce, un des deux seuls mendiants maures de la
ville avait refermé, avec une
Weitere Kostenlose Bücher