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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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rouge d’Espagne, ou les précieux cramoisis,
obligatoirement teintés à la cochenille, colorant obtenu d’un puceron qui
vivait sur les chênes verts, jamais au brésillet. Elle devait les embobiner,
démêler les bouts de fil et préparer ensuite l’ourdissage en rassemblant un à
un les fils de même longueur jusqu’à les dévider et les enrouler autour du
fuseau en fer utilisé dans les ateliers. Elle prit un tabouret et, après avoir
massé ses reins en un geste de douleur, elle s’assit face à un panier. Pourquoi
le Tout-Puissant l’avait-il abandonnée ? gémit-elle devant un écheveau de
fils colorés.
     
    Au même moment, au-delà du détroit qui séparait l’Espagne et
les Barbaresques, dans son luxueux palais de la médina de Tétouan, Fatima
dictait une lettre à un commerçant juif. Elle lui avait promis une bonne somme
d’argent afin qu’il l’écrive pour elle en arabe, la fasse parvenir à Cordoue
par l’intermédiaire de quelqu’un de confiance et lui rapporte une réponse.
    — Époux aimé, commença-t-elle, la voix nerveuse. Que la
paix et la bénédiction de l’Indulgent et de Celui qui juge avec vérité soient
avec toi…
    Fatima s’arrêta. Que dire à l’homme qu’elle n’avait pas vu
depuis sept ans ? Comment ? Son discours était prêt, elle l’avait
médité, entre ses souvenirs heureux et malheureux, mais à l’instant de vérité,
les paroles ne venaient pas. Le juif, un vieil homme, patient, leva les yeux de
la feuille et regarda la femme : belle, fière et altière, dure et froide,
avec un air sévère qui semblait à présent succomber devant le doute. Il
l’observa faire les cent pas dans la pièce, passer sous les arcs qui donnaient
sur le patio et revenir ; porter ses doigts couverts de bagues à ses
lèvres puis les croiser sous sa poitrine ou esquisser un geste en l’air, la
main tendue, comme si cette attitude pouvait lui redonner la fluidité verbale
qui l’avait quittée.
    — Madame, dit avec respect le commerçant, devenu pour
un temps écrivain public, puis-je vous aider ? Que voulez-vous dire à
votre époux aimé ?
    Les yeux noirs de Fatima, brillants et glacés, se posèrent
sur le juif. Ce qu’elle voulait dire à Hernando ne tenait pas en une seule
lettre, faillit-elle lui répondre. Pourtant c’était simple au fond :
Brahim était mort et elle désirait qu’il vienne la retrouver à Tétouan. Rien
n’empêchait qu’ils soient de nouveau heureux, et elle l’attendait. Mais s’il
s’était remarié ? S’il avait retrouvé, lui, le bonheur ? Sept ans
avaient passé…
    Sept ans de soumission totale ! Fatima se planta devant
le vieux juif qui continuait de l’observer, la plume à la main.
    — C’est un cri…, murmura-t-elle.
    L’homme s’apprêta à mouiller sa plume dans l’encre mais
Fatima l’arrêta.
    — Non. N’écris pas ça. C’est un cri qui m’a réveillée,
qui m’a ramenée à la vie.
    L’ancien posa sa plume sur le bureau et se cala sur sa
chaise, invitant la dame à poursuivre son histoire. Il savait que Brahim était
mort ; tout Tétouan était au courant de son assassinat.
    — Sale chien ! reprit Fatima. Voilà ce que j’ai
entendu. C’était Shamir qui insultait Nasi. Et alors j’ai compris que ce garçon
de seize ans était devenu un homme, aguerri par la mer, les assauts de navires
chrétiens et les incursions sur les côtes andalouses. Cela s’est passé dans le
patio, ici même, précisa-t-elle en montrant la merveilleuse fontaine qui
occupait le centre du patio couvert, au ras du sol, expulsant l’eau d’une
mosaïque circulaire composée de minuscules pierres multicolores qui formaient
un dessin géométrique. Face à cette offense, Nasi, ce corsaire redouté et
cruel, qui avait dix ans de plus que lui, a porté la main à son alfange. J’ai
tremblé. Je me suis recroquevillée, comme je l’ai toujours fait depuis que j’ai
posé le pied dans cette misérable ville. Mon petit Abdul, avec ses yeux bleus
furieux, se tenait au côté de Shamir. Le reflet de la lame de l’alfange de
Nasi, qu’il brandissait en direction des garçons, m’a aveuglée et j’ai cru
m’évanouir.
    Perdue dans ses souvenirs, Fatima se tut. Le juif n’osait
pas bouger. Tout à coup, la femme le regarda.
    — Tu sais, Efraín ? Dieu est grand. Shamir et
Abdul ont reculé de quelques pas, mais pas pour s’enfuir comme je le désirais.
Ils ont dégainé leurs armes, tous deux en même temps,

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