Les révoltés de Cordoue
saurait
alors qu’Ubaid avait dit la vérité. Il se souvint du conseil d’Hamid et de la
confiance que l’uléma avait placée en lui. Il ne pouvait le décevoir.
Il grimpa au château, à l’abri parmi les mules, qu’il
obligeait à marcher autour de lui, attentif au moindre mouvement. Ubaid, comme
il le craignait, ne vint pas à sa rencontre. Le château bouillonnait avec les
préparatifs du départ à Pampaneira, où les attendaient Abén Humeya et son
armée. Il chercha Brahim et le trouva en pleine discussion avec des chefs
monfíes, près de la forteresse.
— On partira à vide, lui annonça son beau-père. Prépare
mon cheval… et les mules d’Ubaid, ajouta-t-il en pointant le doigt sur ce
dernier.
Le muletier de Narila avait le bras droit bandé, sale, les
vêtements usés, et son visage paraissait terriblement émacié, alors qu’il
essayait, sans succès, d’harnacher ses bêtes.
— Mais…, tenta de protester Hernando.
— Tu sais sans doute qu’il a payé pour son crime, l’interrompit
Brahim, qui insista sur les deux derniers mots.
Et il se pencha sur Hernando, les yeux mi-clos, le défiant
de protester à nouveau.
Il savait ! Son beau-père savait, lui aussi !
Pourtant il avait saisi son épée pour trancher la main du muletier. Brahim
observa comment son fils adoptif se dirigeait vers le troupeau d’Ubaid.
Anticipant l’affrontement des deux garçons, une grimace de satisfaction apparut
sur son visage : il les haïssait autant l’un que l’autre.
— Je vais m’occuper de tes bêtes, dit Hernando au
muletier de Narila, sans pouvoir quitter des yeux le bandage ensanglanté qui
recouvrait le moignon de son bras droit.
Ubaid lui cracha au visage. Hernando se tourna vers son
beau-père.
— Vas-y ! cria Brahim.
Le sourire avait disparu de ses lèvres.
— Pousse-toi de là, exigea alors Hernando du muletier.
Je vais préparer tes mules, que ça te plaise ou non, mais je te veux loin de
moi.
Il vit un long bâton sur le sol, le saisit des deux mains et
en menaça Ubaid.
— Va-t’en ! cria-t-il. Si je te vois près de moi,
je te tue.
— Je te tuerai avant, marmonna Ubaid.
Hernando le poussa du bout de son bâton, mais Ubaid
l’attrapa de la main gauche et l’immobilisa. Hernando sentit là une force
impropre à une personne dans l’état du muletier. Brahim semblait jouir de la
situation, qui se prolongea quelques instants. Que pouvait-il faire ? se
demandait le garçon. « Utilise ton intelligence », se souvint-il.
Soudain, il lâcha le bâton de la main droite qu’il leva violemment. Ubaid
répondit instinctivement à la menace et leva… son moignon ! La vision de
son bras sectionné et sanguinolent fit hésiter le muletier, opportunité que
saisit Hernando pour le frapper à l’estomac avec le bâton. Le muletier tituba
avant de chuter sur le sol.
— Ne t’approche pas de moi ! Je veux toujours te
savoir loin de moi, lui ordonna-t-il, le repoussant de nouveau avec le bâton.
Sans pouvoir dissimuler la douleur à son poignet, Ubaid se
traîna loin des mules.
Abén Humeya avait
établi sa base d’opérations dans le petit château de Poqueira, enclavé sur une
colline rocheuse du haut de laquelle on contrôlait le ravin de la Sangre, celui
de Poqueira et la rivière Guadalfeo. Hernando fit le chemin de Juviles auprès
d’un millier d’autres Maures, certains armés, la plupart munis de simples
instruments de labour, mais tous impatients de se battre contre les forces du
marquis. Ubaid, toujours devant, réussit à résister au trajet en s’appuyant sur
les mules, incapable d’en monter une. Les hommes de Juviles n’étaient pas
seuls : de nombreux Maures avaient répondu à l’appel du roi de Grenade et
de Cordoue. Dans le petit château, il n’y avait plus de place et la foule
s’était dispersée au cœur du village de Pampaneira, où les maisons étaient
pleines à craquer. Celui qui trouvait un refuge contre le froid sous l’un des tinaos [7] qui, de maison en maison, recouvraient les ruelles sinueuses du village,
pouvait s’estimer heureux.
Ils arrivèrent de nuit, un peu avant le retour à Pampaneira
d’une bande de Maures vaincus, ayant perdu plus de deux cents hommes. La nuit
même, le travail commença pour Hernando : plusieurs chevaux étaient
revenus blessés et Brahim désigna son beau-fils pour les soigner.
Jusqu’à la rébellion, quelques Maures seulement avaient des
chevaux, puisqu’il leur était
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