Les révoltés de Cordoue
premier jour
de l’année du calendrier chrétien ; ce jour-là, il n’y eut pas classe.
Suivant la coutume, les femmes s’en allèrent filer sous les mûriers. Elles
s’étaient peint les mains au henné, avec lequel elles enduisaient également les
portes de leurs maisons ; elles avaient préparé des galettes de pain sec à
l’ail et partirent aux champs où, sur des sortes de grils constitués de brique
et de boue, construits à cet effet, elles plongèrent les cocons dans des
chaudrons en cuivre et les firent cuire avec du savon pour qu’ils perdent leur
graisse. Tandis qu’elles remuaient les cocons avec une branche de thym, elles
filaient la soie sur des fouets rustiques qu’elles installaient sous les
mûriers. Les Mauresques étaient très habiles et suffisamment patientes pour
filer. Elles séparaient les cocons en trois groupes : les cocons en forme
d’amande, dont on tirait une soie fine et lustrée, la plus précieuse ; les
cocons arrondis, dont on tirait une soie ronde, plus forte et grossière ;
et ceux qui avaient été abîmés, dont la soie était utilisée pour les cordons et
les tissus de moindre qualité.
Hernando se demanda ce qu’ils feraient de la soie cette
année. Comment pourraient-ils la transporter et la vendre dans le quartier des
marchands de soie de Grenade ? Les nouvelles des espions maures dans la
ville disaient que le marquis de Mondéjar continuait de rassembler des troupes
pour venir dans les Alpujarras.
— Par ailleurs, le marquis de los Vélez a proposé au
roi Philippe d’écraser la révolte dans la région d’Almería, commentèrent des
hommes sur la place du village, non loin de l’endroit où le garçon faisait sa
classe.
Hernando indiqua d’un geste à l’enfant qui, à ce moment-là,
chantait les sourates, de continuer, et il s’approcha du groupe.
— Le Diable Tête de Fer, murmura craintivement un
ancien.
C’était ainsi que les Maures surnommaient le cruel et
sanguinaire marquis.
— On raconte, continua le vieux, que ses chevaux
pissent de panique quand il leur monte dessus.
— À eux deux, les marquis nous écraseront, conclut un
homme.
— Les choses auraient été différentes si nos frères de
l’Albaicín et ceux de la vega avaient rejoint la révolte, intervint un troisième
homme. Le marquis de Mondéjar aurait des problèmes dans sa propre ville et ne
pourrait pas accourir dans les Alpujarras.
Hernando remarqua que plusieurs hommes hochaient la tête en
silence.
— Ceux de l’Albaicín paient déjà leur trahison, affirma
le premier vieux avant de cracher par terre. Certains fuient dans les
montagnes, pris de remords. Grenade est remplie de nobles et de soldats de
fortune. Ils ont proposé de payer leur séjour et leur nourriture dans les
hôpitaux de la ville, mais le marquis de Mondéjar a ordonné qu’ils s’installent
dans les maisons des Maures. Alors ils les pillent et violent leurs femmes et
leurs filles. Toutes les nuits.
— On raconte qu’ils ont emprisonné dans la Chancellerie
plus d’une centaine de Maures parmi les plus importants et les plus riches de
la ville, ajouta quelqu’un d’autre.
Le vieil homme acquiesça.
Le groupe redevint silencieux.
— Nous vaincrons ! cria quelqu’un.
L’enfant qui récitait les sourates se tut.
— Dieu nous aidera ! Nous vaincrons !
insista-t-il.
Et toutes les personnes présentes, y compris les enfants,
reprirent ses exclamations.
Le 3 janvier 1569, Brahim rappela Hernando au château
de Juviles. Les Maures partaient à la rencontre de l’armée du marquis de
Mondéjar, qui se dirigeait vers les Alpujarras.
Ses mains tremblaient tellement qu’il ne put sangler la
première mule. Le harnais se défit sur le flanc de l’animal et tomba par terre,
tandis que le jeune garçon contemplait ses doigts avec préoccupation. Qu’allait
faire Ubaid ? Il le tuerait. Il l’attendait probablement… non. À quoi
servait un muletier manchot au château ? Comment un manchot pourrait-il
travailler avec des mules ? Une sueur froide mouilla son dos ; il lui
tendrait un piège. Pas au château. Là, il ne pourrait pas… Hernando harnacha le
troupeau tant bien que mal, et après avoir dit au revoir à sa mère il se mit en
marche. Et s’il s’enfuyait ? Il pourrait… il pourrait rejoindre les
chrétiens, mais… Jamais il ne parviendrait à franchir les Alpujarras ! On
l’arrêterait. S’il ne se présentait pas, Brahim le rechercherait et il
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