Les révoltés de Cordoue
déjouée. Au cours de ces
trois mois de désespoir total, une seule chose l’avait réconforté : la
lettre qu’il avait réussi à écrire à Fatima.
Munir et lui avaient effectué le chemin de retour de Toga en
silence. La mule d’Hernando se trouvait en permanence derrière celle de
l’uléma, comme s’il avait fallu le tirer pour qu’il rentre à Jarafuel. Sa mère
lui avait menti. Fatima vivait et elle avait tué Brahim. Son fils aussi avait
juré de le tuer si leurs chemins venaient encore à se croiser. Le tuer !
Son propre fils ! Ne l’avait-il pas déjà fait à Toga ? Il se souvenait
des yeux bleus, innocents et expressifs de Francisco dans le patio de la maison
cordouane. Et la petite Inés, qu’était-elle devenue ? Les révélations des
dernières heures tournaient en tous sens dans la tête d’Hernando. Images et
questions se heurtaient, tandis que le petit galop de l’animal qu’il montait
lui causait des élancements de douleur.
Fatima ! Le visage de son épouse apparaissait et
disparaissait dans ses souvenirs, comme s’il jouait avec sa souffrance.
Qu’avait-elle dû penser de lui ? Combien de temps avait-elle attendu qu’il
vienne la délivrer ? Combien d’années avait-elle compté sur son
aide ? À peine pouvait-il respirer quand il l’imaginait soumise à Brahim,
espérant son apparition. Sa Fatima ! Il l’avait trahie.
« Pourquoi, mère ? » Mille fois il avait levé
les yeux au ciel. Pourquoi lui avait-elle caché ?
Il leur avait fallu seulement quatre jours de voyage pour
rentrer, contre sept à l’aller. Munir, plongé dans un mutisme tenace, avait
marqué les arrêts strictement nécessaires, et ils avaient continué la nuit, à
la lumière de la lune. Hernando s’était borné à obéir aux ordres de son
compagnon de voyage : reposons-nous ici ; donnons à boire aux
mules ; cette nuit arrêtons-nous près de ce village… Pourquoi lui avait-il
sauvé la vie ?
À Jarafuel, l’uléma le fit attendre à la porte de sa maison,
sans l’inviter à entrer. Finalement, tenant son cheval par la bride, il se
présenta lui-même.
— À part le duc, tenta alors expliquer Hernando, j’ai
seulement sauvé une fillette. Le reste, ce sont des rumeurs…
— Ça ne m’intéresse pas, le coupa sèchement Munir.
Hernando le regarda ; l’uléma le fixait avec dureté,
mais au bout de quelques instants il crut voir surgir dans ses yeux une lueur
de compassion.
— Je t’ai sauvé la vie, Hernando, mais c’est Dieu qui
te jugera.
Tout au long du trajet de retour à Cordoue, il évita la
compagnie des moines, des marchands, des comédiens ou des pèlerins qui
transitaient habituellement par les chemins principaux, et il fit seul le
voyage, perdu dans ses pensées. La culpabilité pesait sur lui comme une chape
de plomb, et il crut parfois qu’il ne supporterait pas davantage ce fardeau. À
mesure qu’il s’approchait de la ville, une autre angoisse s’ajoutait à sa
douleur : il ne désirait plus rentrer. Que dirait-il à Rafaela ? Que
leur mariage n’était pas valable ? Que sa première épouse était
vivante ?
Il retarda autant qu’il put son retour chez lui. Il avait
peur d’affronter Rafaela. Il avait peur de s’affronter lui-même s’il devait
avouer la vérité. Quand il franchit enfin la porte de sa maison, il n’osa même
pas regarder son épouse.
Le sourire avec lequel Rafaela, de nouveau enceinte, vint
l’accueillir s’effaça brusquement lorsqu’elle vit les bleus et les blessures
qu’il avait sur la peau.
— Que t’est-il arrivé ? Qui… ?
Elle voulut avancer sa main vers le visage tuméfié de son
mari.
— Personne, répondit celui-ci, en la repoussant
inconsciemment. Je suis tombé de cheval.
— Mais, tu vas bien… ?
Hernando lui tourna le dos, sans écouter la fin de sa
phrase. Il se rendit aux écuries où il débrida le cheval, puis il traversa le
patio en direction de l’escalier.
— Je déjeunerai et dînerai dans la bibliothèque,
lança-t-il sèchement en passant près de son épouse.
Il y dormit également.
Les jours s’écoulèrent ainsi. Hernando s’efforça d’écrire
une lettre à Fatima. Il mit du temps à y parvenir, à coucher sur le papier tout
ce qu’il ressentait. Au moment où il tentait de se concentrer sur l’écriture,
son esprit se perdait dans la culpabilité et la douleur. Il déchira plusieurs
feuilles. À la fin, il lui parla de Rafaela, de ses deux enfants et
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