Les révoltés de Cordoue
de mes propres mains.
Ses cris la poursuivirent un bon moment. Elle n’était qu’une
femme ! Une femme qui devait obéir. Tout ici appartenait à Shamir :
le palais, les esclaves, les meubles, la nourriture, même l’air qu’elle respirait.
Comment lui permettraient-ils d’être en relation avec ce chien de lâche qui ne
les avait pas défendus lorsqu’ils étaient enfants ? Ils perdraient le
respect de leurs hommes et de toute la communauté. Tous connaissaient le
serment qu’ils avaient prêté à Toga au sujet d’Hernando : les Arabes
l’avaient répété à qui voulait l’entendre. De quelle autorité disposeraient-ils
ensuite pour appliquer la justice entre leurs hommes s’ils consentaient à la
moindre relation avec le nazaréen ? Avec quelle légitimité
risqueraient-ils la vie de leurs hommes dans des incursions dangereuses si,
derrière eux, dans leur maison, une simple femme s’autorisait à leur
désobéir ? S’ils le revoyaient, ils tiendraient parole. Ils le tueraient
comme un chien.
Fatima encaissa le choc, debout, droite, comme la nuit où
elle avait annoncé à Brahim que plus jamais il ne la posséderait. Elle ne
rechercha pas le soutien d’Abdul, ne le regarda même pas, désireuse de ne pas
mêler son fils à cela, de ne pas l’obliger à affronter son compagnon qui, au
bout du compte, était bel et bien le propriétaire de tous les alentours.
— N’oublie pas ce que je t’ai dit… Ne fais pas de
bêtise, marmonna Shamir avant de faire demi-tour et sortir de la pièce.
Fatima se tourna vers son fils, essayant de trouver chez lui
une lueur de compréhension, un appui, mais ses yeux étaient froids et ses
traits, tannés par le soleil, aussi tendus que ceux de l’autre corsaire. Elle
le vit quitter la pièce avec la même démarche décidée. Alors seulement elle
laissa ses yeux se remplir de larmes.
64.
« À Valence de nombreux Maures ont été
emprisonnés, à cause de certaines lettres que le roi d’Angleterre a envoyées,
trouvées parmi les papiers de la reine défunte, que lui avaient écrites les
Maures l’implorant de les aider à se soulever, et lui certifiant qu’ils
donneraient des ordres pour qu’elle puisse piller cette ville si elle venait
avec son armée. On a soumis beaucoup d’entre eux à la torture pour savoir les
conditions de toute cette affaire, et on continue d’en châtier certains pour
donner l’exemple aux autres. »
Luis Cabrera de Córdoba
Relations des événements survenus
à la cour d’Espagne
Après la mort
d’Elisabeth d’Angleterre, à la fin du mois de mars 1603, l’Espagne et
l’Angleterre conclurent un traité de paix. Le souverain espagnol, entre autres,
s’engageait à renoncer à mettre un roi catholique sur le trône d’Angleterre.
Pour cette raison peut-être, des mois plus tard, une fois l’accord signé,
Jacques I er fit parvenir à Philippe III en signe de
gratitude une série de documents trouvés dans les archives d’Elisabeth. Parmi
ceux-ci, les propositions de soulèvement des Maures espagnols contre le roi
catholique, avec l’aide des Anglais et des Français, et leur projet de
reconquête des royaumes d’Espagne pour l’Islam.
Le vice-roi de Valence et l’Inquisition se mirent à l’œuvre
dès que le Conseil d’État rendit la conjuration publique. De très nombreux
Maures furent arrêtés et soumis à la torture jusqu’à ce qu’ils avouent.
Plusieurs furent exécutés selon les coutumes valenciennes. On demandait au
prisonnier s’il voulait mourir dans la foi chrétienne ou musulmane. S’il
choisissait la première réponse, il était pendu sur la place du marché ;
s’il s’acharnait à garder sa foi, on l’emmenait en dehors de la ville, à la
Rambla, et, conformément au châtiment divin prévu dans le Deutéronome pour les
idolâtres, le peuple le lapidait et brûlait son cadavre.
À de rares exceptions près, les Maures optaient pour une fin
rapide et dans la foi chrétienne, mais juste au moment où la corde se tendait,
ils poussaient des cris en invoquant Allah. Le stratagème était si connu que
les gens venaient assister aux exécutions avec des pierres pour lapider le
pendu à l’instant où il clamait le nom du Prophète. Après, les familles maures
ramassaient les pierres afin de les conserver en souvenir de l’exécution.
Trois mois après son retour à Cordoue, Hernando apprit que
la tentative d’insurrection ourdie à Toga avait été
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