Les révoltés de Cordoue
conséquences ? Que
lui répondrait Fatima, si elle le faisait ?
Rafaela essuya ses larmes d’une main, tandis qu’elle
continuait à soutenir son ventre de l’autre.
Alors Hernando comprit une chose : oui, il avait failli
à Fatima, et c’était une culpabilité dont il ne pourrait jamais se libérer…
mais il n’allait pas commettre deux fois la même erreur avec la personne qu’il
aimait désormais. Sans dire un mot, il se leva, contourna le bureau et prit
doucement son épouse dans ses bras.
Malgré ses efforts pour cacher à Rafaela ses inquiétudes,
Hernando ne pouvait s’arrêter de penser aux révélations auxquelles son fils
s’était livré. La jeune femme ne fit aucune allusion à ce qui s’était passé,
comme si ces jours de réclusion n’avaient pas existé. Hernando chercha du
réconfort auprès de ses enfants et dans la perspective du petit à naître. Un
jour il se rendit au campo de la Merced et déambula dans le triste cimetière
jusqu’à l’endroit où ils avaient enterré sa mère. Là, il s’adressa à Aisha en
silence.
— Pourquoi, mère ? Pourquoi ?
En son for intérieur, il tenta de trouver la réponse.
Pourquoi Aisha avait-elle agi ainsi ? s’interrogea-t-il longtemps,
échafaudant mille hypothèses. Soudain une idée se détacha : « Ils
étaient vivants. » Fatima était vivante. Francisco aussi, et Shamir, et
probablement Inés. Aurait-il préféré qu’ils soient tous morts pour soulager son
sentiment de culpabilité ? Il se sentit indigne. Jusqu’alors il avait
seulement pensé à lui, à ses manquements, à sa lâcheté que Francisco lui avait
tant reprochée. Le plus important était qu’ils soient vivants, même loin de
lui. Cette vérité lui apporta une certaine consolation… Mais il avait besoin
d’obtenir leur pardon. Il attendait avec anxiété des nouvelles de Munir. Et il
fut atrocement déçu quand l’uléma lui renvoya la lettre adressée à Fatima,
accompagnée de son refus de la transmettre à Tétouan.
Fatima n’arrivait pas à y croire : après la visite de
Shamir et de son fils, trois imposants esclaves numides, armés, avaient
aussitôt intégré le personnel attaché au palais.
— Pour votre sécurité, señora, l’informa un domestique
afin de justifier sa présence. Les temps sont agités, et c’est votre fils qui
l’a exigé.
Pour sa sécurité ? Deux d’entre eux la suivaient
partout, à deux mètres de distance, dès qu’elle sortait dans Tétouan.
Fatima eut l’occasion de le vérifier. Un matin, flanquée de
deux esclaves qui portaient des sacs, elle se dirigea résolument vers la porte
de Bab Mqabar, au nord des remparts de la ville.
Avant même qu’elle puisse la franchir, les deux Numides
s’interposèrent sur son chemin.
— Vous ne pouvez pas sortir, señora, lui dit l’un
d’eux.
— Je veux juste me rendre au cimetière, rétorqua
Fatima.
— C’est dangereux, señora.
Une autre fois, à l’aube, elle sortit de sa chambre. À peine
avait-elle parcouru la moitié du couloir qu’une immense silhouette noire surgit
de l’ombre.
— Vous désirez quelque chose, señora ?
— De l’eau.
— Je vais demander qu’on vous en apporte, ne vous
inquiétez pas. Reposez-vous.
Elle était prisonnière dans sa propre maison ! Elle
n’avait pas pensé s’enfuir, ni faire quoi que ce soit ; elle n’avait pensé
à rien. Elle savait juste qu’après avoir cru pendant des années à la trahison
d’Hernando, la simple possibilité du contraire faisait renaître en elle des
sentiments qu’elle s’était efforcée depuis longtemps d’étouffer. Depuis la mort
de Brahim elle s’était consacrée aux affaires, s’était employée à amasser
l’argent avec la même froideur qu’Abdul et Shamir lorsqu’ils attaquaient des
bateaux chrétiens sur les côtes espagnoles. Elle avait même renoncé à sa
condition de femme. Mais à présent quelque chose s’était réveillé en elle et,
de temps en temps, la nuit, le regard perdu à l’horizon, où devaient s’élever
les montagnes de Grenade, de légers frissons lui rappelaient qu’elle avait été
capable d’aimer de tout son être.
Un après-midi, Efraín lui rendit visite pour discuter
affaires. Depuis la mort de son père, le juif était devenu le plus intime
collaborateur de la grande señora de Tétouan.
— Je veux te demander un service, Efraín, lui dit-elle
tandis que l’autre parlait de chiffres et de
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