Les révoltés de Cordoue
châtiment.
— Vous devez respecter les sages et les anciens,
insista Munir.
En entendant cette injonction, un des Arabes baissa la tête,
juste au moment où Hernando paraissait s’éveiller. Qu’avait dit Shamir ?
Abdul comprit ce qui se passait : ses hommes respecteraient les lois, et
il ne tuerait pas un uléma. Il posa ses yeux bleus sur Hernando qui l’interrogeait
à présent du regard. Brahim était mort… Le corsaire s’avança vers son père.
— Oui, cracha-t-il. Ma mère l’a tué : elle a plus
de courage et de force dans une seule de ses mains que toi dans tout ton être.
Lâche !
Alors, un des Arabes qui surveillaient Hernando le secoua
violemment tandis qu’un autre, avec la crosse de son arquebuse, lui flanquait
un terrible coup dans les reins. Hernando s’écroula sur le sol, où ils le
rouèrent de coups de pied sans qu’il fit le moindre geste pour se défendre.
— Assez, par Dieu ! implora Munir.
— Par ce même Dieu que ton uléma invoque, par Allah,
marmonna Abdul en ordonnant d’un signe de la main à ses hommes d’arrêter, je
jure que si je croise de nouveau ton chemin, je te tuerai. N’oublie jamais ce
serment, chien !
Brahim ! Fatima reconnut dans les cris et les menaces
de Shamir l’ancien muletier des Alpujarras. Beaucoup plus puissant, beaucoup
plus intelligent que son père… Fatima frémit en découvrant la même voix
furieuse, les gestes identiques, la semblable expression de colère.
Dès leur retour de Toga, Abdul et Shamir s’étaient en effet
rendus au palais et s’étaient présentés devant elle ; tous deux, graves et
renfrognés, refusèrent de lui confier ce qui n’allait pas. Fatima connaissait
leur mission à Toga, elle s’était chargée en personne de rassembler une grosse
somme d’argent arabe pour ce nouveau soulèvement. Elle écouta leur récit avec
intérêt, mais sur le visage de son fils, une ombre la troublait.
— Abdul, dit-elle finalement en posant la main sur son
bras musclé. Qu’as-tu ?
Il secoua la tête et murmura des propos incohérents.
— Tu ne peux pas me mentir. Je suis ta mère et je te
connais bien.
Les regards de Shamir et d’Abdul se croisèrent. Patiente,
Fatima attendait.
— Nous avons vu le nazaréen, finit par lâcher Shamir.
Ce chien de traître était à Toga.
Fatima resta bouche bée. Pendant un instant, elle ne respira
plus.
— Ibn Hamid ?
En prononçant son nom, elle sentit sa poitrine se resserrer
et laissa retomber sa main pleine de bijoux.
— Ne l’appelle pas comme ça ! s’exclama Abdul. Il
ne le mérite pas. C’est un chrétien et un traître ! Mais il s’est traîné
par terre comme le chien qu’il est…
Elle leva les yeux, consternée.
— Quoi… ? Que lui avez-vous fait ?
Elle voulut se lever du divan mais ses jambes flageolaient.
— Nous aurions dû le tuer ! s’écria Shamir. Et je
jure que nous le ferons si nous le revoyons un jour !
— Non ! Je vous l’interdis !
La voix de Fatima avait retenti sous la forme d’un hurlement
rauque. Abdul, surpris, regarda sa mère. Shamir fit un pas dans sa direction.
— Attendez… Que faisait-il à Toga ? Racontez-moi
tout, exigea Fatima.
Ils obtempérèrent finalement, évoquant le nazaréen avec
haine, décrivant en détail la scène vécue à Toga, rapportant les paroles de
l’uléma qui avaient réussi à sauver la vie du chien de traître. Tout en les
écoutant, attentive à chacun de leurs mots, Fatima ne cessait de réfléchir. Ibn
Hamid était à Toga, avec ceux qui planifiaient la révolte… Il avait consacré
des années de sa vie à ces textes… Cela signifiait qu’il n’avait pas renoncé à
sa foi. Son visage s’anima à mesure qu’elle les entendait. Si c’était
vrai… ! Si Ibn Hamid était toujours un croyant ! C’est alors que les
paroles de Shamir éclatèrent dans la pièce comme un coup de tonnerre.
— Et tu dois savoir qu’il s’est marié… avec une
chrétienne. Tu es libre, Fatima. Tu peux te remarier… Tu es encore belle.
— Pour qui te prends-tu pour me dire ce que je peux
faire ou non ? Je ne me remarierai jamais ! lança-t-elle.
Lorsqu’il perçut le trouble que cachait cette réaction,
Shamir s’avança vers elle, menaçant, comme si tous les démons de Brahim
revivaient en lui.
— Tu ne le reverras jamais, Fatima. Si j’apprends qu’il
existe le moindre contact entre vous, je le tuerai. Tu m’entends ? Je lui
arracherai le cœur
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