Les révoltés de Cordoue
ne répondit pas. Que pouvait-il faire ?
Comment allaient-ils s’en sortir ?
Miguel baissa les yeux. Il s’était terriblement endetté.
Comment Hernando croyait-il qu’il maintenait la ferme et les bêtes ?
C’était lui qui avait ordonné que les chevaux des écuries de sa maison soient
transférés là-bas, car il n’avait plus de quoi les nourrir.
Ils tentèrent de vendre à bas prix les meubles de la maison
et les livres d’Hernando dans Cordoue transformée en immense souk. Des milliers
de familles maures bradaient leurs biens dans les rues de la ville, entourées
de vieux-chrétiens qui s’amusaient à marchander au plus bas, se moquant de ces
hommes et de ces femmes qui attendaient, la rage au cœur, que quelqu’un dans la
foule veuille bien acquérir un meuble qu’ils avaient réussi à acheter des
années plus tôt, avec beaucoup d’espoirs et de sacrifices ; ou encore les
lits dans lesquels ils avaient dormi et rêvé d’une vie meilleure. Les artisans
et commerçants, cordonniers, vendeurs de beignets, boulangers, suppliaient
leurs collègues chrétiens d’acheter leurs outils ou leurs machines. Mais aucun
chrétien ne s’approcha des livres et des meubles qu’Hernando sortit de chez lui
et que Rafaela et les enfants surveillaient afin d’éviter qu’on ne les leur
vole.
Un soir, en proie au désespoir, Hernando partit à la
recherche de Pablo Coca. Peut-être pourrait-il gagner un peu d’argent avec le
jeu ? Mais Palomero était mort. Alors, bien que sans autorisation pour le
faire, Miguel retourna quémander dans les rues. Les soldats qui surveillaient
les alentours riaient et le raillaient en le voyant revenir à la nuit tombée,
sautant sur ses béquilles, avec une botte de légumes pourris dans un sac sur
son dos. Pendant ce temps, la journée, Hernando tâchait d’obtenir une audience
avec l’évêque, le doyen ou n’importe quel prébendier du conseil de la
cathédrale de Cordoue. L’évêque pouvait le sauver s’il certifiait sa
chrétienté. N’avait-il pas travaillé pour la cathédrale ?
Il attendit des journées entières, debout, dans le patio
d’accès au grand édifice, en compagnie de beaucoup d’autres Maures qui,
entassés, briguaient la même chose.
— Personne ne vous recevra, leur criaient les vigiles
jour après jour.
Hernando savait qu’ils disaient vrai, aucun prêtre ne leur
prêterait attention, comme c’était déjà le cas lorsqu’ils passaient à côté
d’eux. Certains les regardaient, d’autres traversaient le patio à la hâte, s’efforçant
de les éviter. Mais que pouvait-il faire à part espérer un peu de cette
miséricorde tant prêchée par les chrétiens ? Il n’avait pas d’autre
solution. Il n’y en avait pas ! Les rumeurs sur la date d’expulsion des
Maures andalous enflaient chaque jour et, à défaut d’obtenir un certificat de
l’Église, Hernando serait condamné à quitter l’Espagne avec Amin et Laila.
Que deviendrait le reste de sa famille ? se
demandait-il chaque soir, quand il revenait tête basse chez lui et rentrait
dans la maison, avec l’aide de Rafaela, les meubles et les livres qu’ils
avaient sortis le matin.
Les enfants l’attendaient, comme si sa seule présence
pouvait régler tous les problèmes vécus au cours d’une longue, pénible et
infructueuse journée. Hernando se forçait à leur sourire et les laissait sauter
dans ses bras, tâchant de réprimer ses envies de pleurer et de prononcer des
paroles d’encouragement, de tendresse, d’écouter leurs conversations
pressantes, innocentes et hachées. Les aînés devaient savoir, pensait-il dans
le brouhaha des petits ; les aînés ne pouvaient ignorer la tension et la
nervosité que vivait la ville entière, mais ils étaient incapables d’imaginer
les conséquences de cette expulsion pour une famille comme la leur. Ils
attendaient les misères que rapporterait Miguel pour dîner. Ensuite, une fois
les enfants endormis et l’infirme discrètement retiré, Hernando et Rafaela se
parlaient en silence. Aucun des deux n’osait évoquer la réalité.
— Demain, j’y arriverai, assurait Hernando.
— Je suis sûre que oui, lui répondait Rafaela en
cherchant le contact de sa main.
Au petit matin, ils ressortaient meubles et livres dans la
rue. Les enfants, regroupés autour de leur mère, regardaient Miguel et Hernando
partir. Miguel pour mendier ; Hernando au palais de l’évêque.
— Par les clous de
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