Les révoltés de Cordoue
oreilles de Salah et l’endroit où les clouerait le capitaine turc ?
— Arrêtez cet homme, ordonna-t-il en signalant Ubaid.
L’arquebusier le regarda avec surprise.
— Arrêtez-le ! le pressa-t-il. Il ne peut pas…
être au côté des chevaux du roi, ajouta-t-il après avoir réfléchi quelques
instants au prétexte qu’il devait invoquer.
L’arquebusier était embarrassé, mais quelque chose dans le
ton d’Hernando l’obligea à appeler ses compagnons. Au moment où ces derniers se
dirigeaient vers Ubaid, plusieurs soldats arabes firent irruption. Ce n’étaient
pas des janissaires. Ils étaient habillés de la même façon que les Maures de
Grenade, mais leur teint n’était pas celui des Arabes ; il s’agissait sans
doute de chrétiens renégats. Les deux groupes se retrouvèrent l’un en face de
l’autre : le défi flottait dans l’air. Ubaid, retranché derrière les
Barbaresques, avait le regard fixé sur Hernando.
— Où est ce Turc ? interrogea celui-ci lorsque
l’arquebusier se tourna vers lui dans l’attente d’instructions.
Le Maure lui désigna la maison. Hernando découvrit le
corsaire dans la salle à manger de la demeure chrétienne, bien calé sur un tas
de coussins en soie brodés de mille couleurs. Dès qu’il le vit, Hernando ne
douta pas une seconde qu’il pût couper à coups de dents la moindre oreille
rencontrée sur son chemin : c’était un homme corpulent, aux traits droits
et sévères, et il le salua avec le même accent que le blond qui, un peu plus
tôt, l’avait défié avec sa dague pour se moquer ensuite de lui. Un autre
chrétien renégat !
Pourtant, Hernando fut incapable de répondre à son salut. Il
examina le corsaire : à l’extrémité d’un de ses bras puissants, il
caressait avec les doigts de sa main droite les cheveux d’un jeune garçon
richement vêtu, assis par terre à ses pieds.
— Mon mignon te plaît ? demanda le corsaire devant
l’air stupéfait d’Hernando.
— Quoi… ? se réveilla soudain Hernando. Non !
Le non jaillit de sa bouche avec plus de force qu’il ne
l’aurait souhaité.
Il vit le corsaire sourire et remarqua qu’il l’observait
avec une audace indécente. Que se passait-il avec ces hommes ? se
demanda-t-il, effrayé. Il se retrouvait planté devant un capitaine corsaire qui
menaçait d’arracher des oreilles mais caressait cependant doucement les cheveux
d’un enfant. À cet instant, suivi par Salah, un autre garçon un peu plus âgé
que celui qui était assis, et paré avec le même luxe, se présenta : il
portait une djellaba en lin jaune sur une culotte bouffante et de délicates
babouches de la même couleur. Le garçon bougeait avec affectation ; il
remit un verre de citronnade au capitaine et s’assit de l’autre côté, tout
contre lui.
— Et celui-ci ne te plaît pas non plus ?
l’interrogea-t-il avant de porter la citronnade à ses lèvres.
Hernando chercha l’aide de Salah, mais le commerçant ne
pouvait détourner ses yeux exorbités du trio.
— Non plus, répondit Hernando. Ni l’un ni l’autre.
Tous trois semblaient le déshabiller du regard.
— Tu ne peux pas rester ici, lui lança-t-il
brusquement, pour mettre fin à cette situation.
— Je m’appelle Barrax, dit le corsaire.
— La paix soit avec toi, Barrax, mais tu ne peux pas
rester dans cette maison.
— Mon bateau se nomme Le Cheval Rapide. C’est un
des navires corsaires les plus rapides d’Alger. Tu aimerais beaucoup naviguer
dessus.
— C’est possible, mais…
— Quel est ton nom ?
— Hamid ibn Hamid.
Le capitaine se leva très lentement : il était
pratiquement deux fois plus grand que tous les hommes présents et portait une
simple tunique en lin blanc. Hernando dut faire un effort pour ne pas
reculer ; Salah, en revanche, esquissa un pas en arrière. Le corsaire
sourit de nouveau.
— Tu es courageux, reconnut-il, mais écoute-moi bien,
Ibn Hamid : je resterai dans cette maison jusqu’au moment où votre roi se
mettra en marche avec son armée, et aucun chien maure, aussi protégé soit-il
par Ibn Umayya, ne m’en empêchera.
— Nous attendons mon beau-père… et Ibn Abbu !
ajouta Hernando de façon incohérente. Ils sont à Poqueira. C’est le cousin du
roi, alguazil de Poqueira. Quand ils reviendront il n’y aura pas assez de…
— Ce jour-là, les femmes et les enfants de l’étage
devront partir pour laisser la place au noble et valeureux Ibn Abbu
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