Les révoltés de Cordoue
et à ton
beau-père.
— Mais…
— Ne t’inquiète pas, tu pourras dormir avec nous, Ibn
Hamid.
Après ces paroles, le corsaire s’apprêta à quitter la pièce
flanqué des deux garçons : le premier lançant des éclats d’or, le second
rouge sang.
— Le muletier ne peut pas rester, dit alors Hernando.
Le corsaire s’arrêta et ouvrit les mains en signe
d’incompréhension.
— Je ne veux pas le voir par ici, allégua-t-il pour
toute explication.
— Et qui va s’occuper de mes chevaux et de mes mules ?
— Ne t’en fais pas pour tes animaux. Nous veillerons
sur eux.
— D’accord, céda le corsaire sans accorder au sujet une
plus grande importance.
Soudain, il esquissa un sourire et ajouta :
— Mais je le considère comme une faveur de ma part
envers un jeune homme courageux, Ibn Hamid. Tu me devras quelque chose.
Il n’avait pas d’orge et il fallait nourrir les bêtes. Avant
qu’on lui ordonne de quitter la maison, Ubaid l’avait fait appeler. Hernando
apprit par Salah que le manchot avait rejoint Barrax à Adra, où il avait fui
après la prise de Paterna par les troupes du marquis de Mondéjar. Corsaires,
Arabes et Turcs ne cessaient d’affluer sur les côtes d’Al-Andalus, conscients
que les galères de Naples allaient bientôt arriver et qu’à partir de là il
serait plus difficile de débarquer. La navigation se compliquerait également
sur les côtes espagnoles avec l’arrivée de l’armée du commandeur de Castille,
raison pour laquelle beaucoup de capitaines corsaires avaient décidé de tirer
profit de la guerre ou du commerce avec les Maures. Barrax avait besoin de
chevaux et de mules pour transporter son équipement, principalement les habits
et autres effets personnels de ses garçons, seuls membres de l’expédition
corsaire autorisés à voyager avec bagages, et c’était pour cela qu’il avait
engagé Ubaid, fin connaisseur de la région des hautes Alpujarras qui, bien que
manchot, avait réussi à recouvrer sa pleine compétence avec les mules.
Salah rapporta à Hernando qu’Ubaid avait exigé du fourrage
dès son arrivée.
— Je m’en occupe, répondit Hernando de mauvaise humeur,
réfléchissant au moyen d’y parvenir.
Comment allait-il faire ? se demanda-t-il pour la
énième fois lorsque le marchand, tout en sueur, lui tourna le dos.
Il était midi et les femmes préparaient à manger, mais avec
l’arrivée de Barrax et de ses hommes, l’intimité de la veille s’était
dissipée : Aisha, Fatima et l’épouse de Salah allaient et venaient, la
tête et le visage couverts, dans une maison pleine d’étrangers. Fatima
s’efforçait de remplacer ses sourires de la veille par de tendres regards qui
s’attardaient plus que nécessaire sur Hernando, mais elle comprit vite, comme
Aisha, qu’il se passait quelque chose.
— Qu’est-ce qui te préoccupe, mon fils ? demanda
Aisha, profitant d’un moment où personne ne les écoutait.
Hernando secoua la tête, les lèvres pincées.
— Ton beau-père n’est pas revenu, insista Aisha, je
t’ai entendu le dire au capitaine corsaire. Que se passe-t-il alors ?
Voyant qu’il évitait son regard, Aisha insista :
— Ne t’inquiète pas pour nous, apparemment le corsaire
ne s’intéresse pas aux femmes…
Il cessa de l’écouter. Bien sûr qu’il ne s’intéressait pas
aux femmes ! Partout où il allait, partout où il se trouvait, Hernando
tombait sur le regard libidineux de Barrax, parfois seul, parfois caressant un
des garçons qui l’accompagnaient, ainsi qu’il l’avait fait pendant tout le
repas, sans cesser de regarder Hernando, assis en face de lui, à côté de Salah,
comme s’il occupait la place de son mignon. Tous les autres avaient mangé à
l’extérieur de la maison. Comment pourrait-il confesser cela à sa mère, si elle
ne s’en était pas encore rendu compte ? Comment lui avouer, aussi, qu’il
cachait une petite chrétienne près du mur, probablement affamée et terrorisée,
capable de… De quoi Isabel était capable ? Et si elle quittait sa cachette
et était arrêtée ? On viendrait le trouver. Comment lui dire qu’il n’avait
pas d’orge et que cette nuit même, au pire demain, les hommes de Barrax
réclameraient ce qu’Abén Humeya avait promis à leur capitaine ? Comment
aurait-il pu rendre sa mère complice de sa désobéissance au roi, à qui il avait
volé une prisonnière ? Si on avait coupé la main du muletier de Narila
pour
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