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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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impressionnant,
aussi élevé que massif, qui s’incurvait au nord-est à partir de ce point.
    La Grande Muraille, comme l’appellent les étrangers,
est désignée de façon bien plus pittoresque par les Han comme la
« Bouche » de leur terre. En des temps reculés, les Han s’étaient
baptisés le « peuple dans la Bouche » (celle-ci étant matérialisée
par ce mur), toutes les autres nations situées au nord et à l’ouest étant
qualifiées de « peuples hors la Bouche ». Lorsqu’un Han accusé de
crime ou de traîtrise était condamné à l’exil, il était donc « craché hors
la Bouche ». Le mur avait été édifié pour contenir à l’extérieur tout ce
qui n’était pas le peuple han, c’est incontestablement la plus longue et la
plus solide barrière défensive jamais bâtie de main d’homme. Combien il avait
fallu de mains, combien de temps cela avait duré, nul ne peut le dire. Mais sa
construction avait dû consumer les vies de nombreuses générations, voire de
populations entières.
    Selon la tradition, le tracé du mur était calqué sur
la course errante qu’avait suivie le cheval blanc favori d’un certain empereur
Chin, le chef han qui en avait entamé la construction en des temps ancestraux.
Je doute, pour ma part, de la véracité de l’histoire, car aucun cheval n’aurait
emprunté une route aussi difficile qui passe par le sommet de certaines crêtes,
comme le fait la Grande Muraille. Jamais nous et nos chevaux ne l’aurions fait
de nous-mêmes, en tout cas. Mais comme les dernières semaines de notre voyage à
travers Kithai, qui semblait devenir interminable, nous obligeraient souvent à
longer ce mur en apparence non moins interminable, et comme nous ne devions de
toute façon pas nous en éloigner beaucoup, nous trouvâmes aussi pratique de le
suivre et décidâmes de marcher carrément dessus.
    La Grande Muraille serpente à travers Kithai, parfois
discontinue d’un horizon à l’autre, mais tirant en d’autres endroits avantage
de remparts naturels tels des pics ou des falaises et les incorporant à son
tracé, pour s’interrompre l’instant d’après sur un sol éminemment vulnérable.
Ce n’est pas partout un simple mur : du côté est de Kithai, nous en
trouvâmes jusqu’à trois érigés parallèlement, l’un derrière l’autre, à des
centaines de li d’intervalle.
    Sa composition varie grandement, il faut le dire,
selon les lieux. Ses segments les plus orientaux sont constitués de blocs de
très gros diamètre, nettement et solidement cimentés entre eux – comme si l’on
avait bâti, en ces endroits, sous l’œil sévère de l’empereur Chin en personne
–, ils demeurent aujourd’hui encore inviolés et intacts. Là, on a affaire à un
immense rempart, haut, épais et solide, d’une largeur suffisante pour permettre
à une troupe entière de cavaliers de chevaucher de front. Des échauguettes
flanquent, de part et d’autre de la muraille, une véritable route, et de hautes
tours de guet y sont érigées à intervalle régulier. Plus à l’ouest, en revanche
– comme si, sachant que leur maître ne viendrait jamais inspecter l’ouvrage,
les esclaves et les sujets de l’empereur avaient travaillé sans conviction et
avec négligence –, le mur n’est plus qu’un agglomérat mesquin de pierres et de
boue empilées à la hâte, dans une structure ni aussi haute ni aussi épaisse,
qui a par conséquent été largement émiettée et entaillée de brèches au fil des
siècles.
    Il n’en reste pas moins, en somme, que la Grande
Muraille est un ouvrage majestueux, qui inspire le respect mais demeure délicat
à décrire en termes vraiment évocateurs à un Occidental. Essayons quand même.
Si ce mur pouvait être transporté intact hors de Kithai et si ses nombreux bras
étaient alignés bout à bout à partir de Venise, puis en direction du nord-ouest
à travers tout le continent européen, franchissant les Alpes, les prairies, les
forêts, les rivières et tout le reste, en direction de la mer du Nord jusqu’au
port flamand de Bruges, ce mur serait encore assez long pour parcourir une
seconde fois cette énorme distance jusqu’à Venise, puis pour atteindre vers
l’ouest la frontière de la France.
    Au vu de l’incroyable dimension de l’ouvrage colossal
que constitue la Grande Muraille, comment mon père et mon oncle, qui pourtant
la virent avant moi, avaient-ils pu omettre de m’en parler, ne fut-ce que pour
exciter par

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