Les voyages interdits
et de caverne en grotte, et dans toutes
je pus voir des bouddhas. Certains debout, d’autres tranquillement allongés et
paraissant dormir, ou le plus souvent assis en tailleur sur une fleur de lotus
géante. Le moine me raconta que « Bouddha » était à l’origine un mot
indien qui signifie « l’Éveillé » et qu’avant de connaître son
apothéose, il avait été un prince de l’Inde. Je me serais donc attendu que toutes
les statues incarnent un petit homme à la peau noire, ce qui n’était pas le
cas. Le bouddhisme s’était en effet étendu depuis longtemps de l’Inde vers
d’autres nations, et, manifestement, chaque dévot ayant payé pour placer ici
une statue ou une peinture avait envisagé le Bouddha à sa propre image. Certaines
des plus anciennes montraient en effet un homme sombre et décharné, comme
peuvent l’être beaucoup d’Indiens, mais d’autres auraient aussi bien pu être
des Apollons grecs, des Persans au profil d’aigle ou des Mongols bardés de
cuir. Quant aux plus récentes, elles arboraient toutes la complexion de cire,
l’expression placide et les yeux bridés légèrement inclinés de sujets aisément
reconnaissables, puisqu’elles étaient du plus parfait type han.
Il était évident aussi que des maraudeurs musulmans
avaient dû, par le passé, écumer les rues de Dunhuang, car de nombreuses
statues étaient en ruine ou avaient été taillées en pièces, révélant ainsi leur
construction simple de gesso, ou plâtre, moulé sur des armatures de
rotin et de roseau. Lorsqu’elles tenaient encore debout, elles étaient souvent
cruellement défigurées. Comme je l’ai déjà dit, les sectateurs d’Allah
détestent les portraits d’êtres vivants. Aussi, lorsqu’ils n’avaient pas eu le
temps ici de détruire une statue de fond en comble, ils l’avaient décapitée (la
tête étant le siège de la vie) ou bien s’étaient en toute hâte contentés d’en
extraire les yeux (où se lit l’expression de la vie). Ils avaient même pris la
peine d’érafler les yeux minuscules de plusieurs milliers d’images peintes sur
les murs, y compris celles de jolies et délicates silhouettes de femmes.
— Alors que ces femmes, se plaignait amèrement le
vieux moine, ne sont même pas des divinités ! (Il pointa du doigt une
pétulante petite personne.) Voici Devatâ, l’une des danseuses célestes qui
accompagnent les âmes bénies vers le Sukhavati, la Terre pure qui sépare les
vies. Quant à celle-ci (il montrait à présent une jeune fille représentée en
train de voler, dans un tourbillon de jupes et de voiles rappelant les ailes du
papillon), c’est l’une des Apsara, les tentatrices de l’éther.
— Il y a donc des tentatrices au paradis
bouddhiste ? demandai-je, intrigué.
Il renifla et précisa :
— Juste pour empêcher un surpeuplement de la
Terre pure.
— Vraiment ? Et de quelle façon ?
— Les Apsara ont pour tâche de séduire les saints
hommes présents ici sur cette terre, afin que leurs âmes soient vouées entre
deux vies à l’horrible terre de Naraka plutôt qu’au bienheureux Sukhavati.
— Ah ! fis-je, pour montrer que j’avais compris.
Une Apsara est un succube, en d’autres termes.
Le bouddhisme a certaines autres ressemblances avec
notre vraie foi. Ses adeptes sont tenus de ne pas tuer, de ne pas proférer de
mensonges, de ne jamais prendre ce qui n’est point offert et de ne pas se
compromettre dans des pratiques sexuelles condamnables. Mais il est aussi, à
d’autres égards, fort éloigné du christianisme. Car les bouddhistes n’ont pas
le droit de boire de l’alcool, de manger après minuit, d’assister à des fêtes,
de porter des décorations sur le corps, ni de dormir ou même se reposer sur un
matelas confortable. Leur religion possède bien l’équivalent de nos moines,
nonnes et prêtres, nommés chez eux ubashi, ubashanza et lama, mais
si le Bouddha leur a bien recommandé, comme chez nous, de vivre dans
l’austérité, bien peu s’y plient.
Par exemple, le Bouddha avait demandé à ses adeptes de
ne porter que des « vêtements jaunis » (désignant par là de simples
hardes, décolorées par le délabrement et la moisissure). Mais les moines et les
nonnes bouddhistes n’obéissent qu’à la lettre de ces instructions, non à
l’esprit, car ils sont aujourd’hui vêtus de robes taillées dans les plus
coûteuses étoffes, tapageusement teintes du jaune le plus brillant à l’orangé
le
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