L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
instant, et s’écria avec le ton de la plus grande surprise :
– Miss Wharton ici ! Il est impossible que vous soyez seule !
– Il n’y a ici avec moi que Dieu et vous, répondit-elle, et c’est en son saint nom que je vous conjure de vous rappeler vos promesses et de sauver mon frère.
Harper la releva avec un air de douceur, la fit asseoir sur l’escabelle qu’il venait de quitter, l’engagea à se calmer, et la pria de lui apprendre tout ce qu’elle savait. Frances s’empressa de le satisfaire, et elle l’informa ingénuement des motifs qu’elle avait eus pour se rendre dans ce lieu solitaire, seule, et à une pareille heure.
Il était difficile de lire dans les pensées d’un homme aussi bien habitué que l’était Harper à commander à toutes ses passions ; et cependant son œil pensif brillait d’un nouvel éclat pendant qu’il écoutait le récit de la jeune fille. Il prit un vif intérêt aux détails qu’elle lui donna sur l’évasion de Henry et sa fuite dans les bois, et il entendit tout le reste de sa relation avec une expression bien marquée de bienveillance ; et quand elle finit par lui témoigner la crainte qu’elle avait que son frère ne restât trop longtemps dans les montagnes, au lieu de s’en éloigner, il eut l’air de partager son inquiétude, et fit deux ou trois tours dans la chambre en paraissant réfléchir profondément.
Frances hésita ; sa main se plaça, sans le savoir, sur la poignée d’un des pistolets ; la pâleur dont la crainte avait couvert, ses beaux traits, fit place au plus vif incarnat, et après une courte pause, elle ajouta :
– Nous pouvons compter sur l’amitié du major Dunwoodie ; mais il a un sentiment d’honneur si pur, si exalté, que… malgré… les efforts qu’il en coûtera à son cœur, il regardera comme un devoir de mettre tout en œuvre pour le faire arrêter. D’ailleurs il croit que Henry ne court aucun risque parce qu’il compte sur votre protection…
– Sur ma protection ! répéta Harper avec un air de surprise.
– Oui, sur la vôtre, dit Frances. Quand je lui ai eu dit la manière dont vous nous aviez parlé, il m’a assuré que vous aviez le pouvoir d’obtenir la grâce de Henry, et que si vous en aviez fait la promesse, vous la tiendriez bien certainement.
– Ne vous a-t-il rien dit de plus ? lui demanda Harper en fixant sur elle des yeux perçants.
– Pas davantage, répondit Frances ; il n’a fait que nous répéter que Henry était sauvé. Il est occupé à vous chercher en ce moment.
– Miss Wharton, dit Harper avec une dignité calme, il serait inutile de vous cacher maintenant que je ne joue pas un des derniers rôles dans la malheureuse lutte qui a lieu en ce moment entre l’Angleterre et l’Amérique. Vous devez l’évasion de votre frère à la connaissance que j’avais de son innocence et au souvenir que j’ai conservé de ma promesse. Le major Dunwoodie s’est trompé, en disant que je pouvais procurer ouvertement la grâce du capitaine Wharton. Je puis maintenant veiller à sa sûreté, et je vous donne ma parole qui n’est pas sans avoir quelque poids auprès de Washington, qu’on prendra des moyens pour qu’il ne soit pas arrêté de nouveau ; mais aussi j’exige de vous que vous me promettiez de garder un secret inviolable sur cette entrevue, jusqu’à ce que je vous permette d’en parler.
Frances lui fit la promesse qu’il lui demandait.
– Votre frère, continua-t-il, va arriver ici avec celui qui l’a délivré mais il ne faut pas qu’il me voie, sans quoi la vie de Birch pourrait se trouver en danger.
– En danger ! s’écria Frances : jamais. Mon frère n’est pas assez vil pour trahir l’homme qui l’a sauvé.
– Ce qui se passe en ce pays, miss Wharton, reprit Harper, n’est pas un jeu d’enfant. La vie et la fortune des hommes ne tiennent qu’à un fil bien fragile, et il ne faut pas le laisser à la merci des accidents. Si sir Henry Clinton savait que Birch a la moindre communication avec moi, rien ne pourrait sauver la vie de cet infortuné. Ainsi donc, si le sang humain vous fait horreur, si vous vous souvenez du service rendu à votre frère, soyez prudente, et gardez le silence. Communiquez-leur tout ce que vous savez, et pressez-les de partir à l’instant. Il faut qu’ils passent avant le jour les derniers piquets de l’armée américaine, et je veillerai à ce que personne n’interrompe leur marche. On peut
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