L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
ne le saura jamais, Harvey. J’en prends à témoin Dieu qui m’entend.
Le colporteur parut satisfait. Saisissant un instant favorable, il se glissa derrière les vêtements qui cachaient l’entrée de la caverne, et y entra sans que Henry s’en aperçût.
Pendant ce temps Frances et son frère, celui-ci croyant que Birch était sorti par la porte, s’entretenaient ensemble, et le sujet de leur conversation était la situation dans laquelle Henry se trouvait. La sœur insista fortement pour qu’il partît sur-le-champ, afin de prévenir les mesures qu’allait prendre Dunwoodie ; car ils savaient l’un et l’autre que le major ne transigerait pas avec ce qu’il regardait comme son devoir. Le capitaine prit son portefeuille, écrivit quelques lignes au crayon, plia le papier et le remit à sa sœur.
– Frances, lui dit-il, vous avez prouvé cette nuit que vous êtes une femme incomparable. Si vous m’aimez, remettez ce billet à Dunwoodie sans l’ouvrir, et souvenez-vous que deux heures de temps peuvent me sauver la vie.
– Je le ferai, je le ferai ! s’écria Frances ; mais pourquoi tarder ? pourquoi ne pas fuir ? pourquoi ne pas mettre à profit ces moments précieux ?
– Votre sœur a raison, capitaine Wharton, dit Harvey qui était entré sans être aperçu, il faut que nous partions sur-le-champ. Je me suis muni de vivres, et nous mangerons chemin faisant.
– Mais qui se chargera de reconduire ma sœur en lieu de sûreté ? s’écria Henry. Je ne puis songer à l’abandonner dans un lieu comme celui-ci.
– Laissez-moi, laissez-moi, dit Frances ; je m’en irai aussi facilement que je suis venue. Soyez sans inquiétude. Vous ne connaissez ni mon courage ni mes forces.
– Je ne vous ai pas connue jusqu’ici, ma sœur, c’est la vérité ; mais à présent que j’ai appris à vous apprécier, puis-je vous laisser en ce lieu ? non, jamais ! jamais !
– Capitaine Wharton, dit Birch en ouvrant la porte, si vous avez plusieurs vies, vous êtes bien le maître de les risquer ; mais moi qui n’en ai qu’une, je veux la conserver. M’en irai-je seul, ou venez-vous avec moi ?
– Partez ! partez, mon cher Henry ! s’écria Frances en l’embrassant. Partez : songez à notre père, songez à Sara. Elle n’attendit pas sa réponse ; mais, l’entraînant doucement vers la porte, elle le poussa en dehors et la ferma.
Il y eut encore quelques instants de discussion entre le capitaine et le colporteur ; mais enfin celui-ci l’emporta, et Frances entendit le bruit de leurs pas, tandis qu’ils descendaient de la montagne avec rapidité.
Dès qu’on eut cessé de les entendre, Harper reparut. Il prit en silence le bras de Frances, et la fit sortir de la hutte. Le chemin lui paraissait familier ; il la fit remonter sur la pointe du rocher sous laquelle était la chaumière, lui fit traverser le plateau de la montagne, et il avait soin de la prévenir des obstacles et des difficultés qui pouvaient s’opposer à leur passage et de l’en garantir. En marchant à côté de cet homme à taille majestueuse, Frances sentait que le bras qui la soutenait ne pouvait appartenir à un être de la classe ordinaire. Son pas ferme et son air calme semblaient annoncer une âme forte et résolue. En suivant leur route par le revers de la montagne, ils en descendirent très-vite et sans danger. Guidée par Harper, Frances parcourut en dix minutes la même distance qui lui avait coûté en venant une heure de fatigue. Enfin il prit un de ces sentiers dont nous avons parlé, pratiqués par les troupeaux, et traversant d’un pas rapide le terrain qui avait été défriché, il arriva près d’un cheval richement caparaçonné. Le noble animal hennit et frappa la terre du pied, lorsque son maître replaça ses pistolets dans leurs arçons.
Harper se tourna alors vers Frances, et lui prenant la main, lui parla en ces termes :
– Vous avez sauvé cette nuit votre frère, miss Wharton. Je ne puis vous expliquer pourquoi il se trouve des bornes au pouvoir que j’ai de le servir ; mais si vous pouvez retarder de deux heures le départ de la cavalerie, je vous réponds de sa sûreté. Après ce que vous avez fait ce soir, je suis porté à croire que rien ne vous est impossible. Dieu ne m’a pas accordé d’enfants, miss Wharton ; s’il m’eût donné une fille, je lui demanderais qu’elle vous ressemblât. Mais vous êtes mon enfant. Tous les habitants de cette vaste
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