L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
troncs d’arbres avaient été remplis par de la terre glaise, et une partie en étant tombée, on y avait suppléé par des feuilles sèches, pour empêcher le vent de pénétrer dans l’intérieur. Le jour n’y arrivait que par une seule croisée, garnie de quatre carreaux de vitres ; mais un volet placé avec grand soin empêchait la clarté du feu de se répandre au dehors. Après avoir passé quelques instants à examiner cette cachette, car la construction singulière de cet édifice ne permettait pas de lui donner un autre nom, Frances approcha l’œil d’une crevasse pour voir ce qui se passait dans l’intérieur. Il n’y avait ni lampe ni chandelle, mais la flamme d’un bois sec répandait assez de clarté pour qu’on pût lire. Dans un coin était un lit de paille, négligemment couvert d’une double couverture de laine. Des crochets de fer enfoncés, dans les fentes du rocher qui servait de murailles soutenaient des vêtements de toute espèce à l’usage des deux sexes, et pouvant servir à tous les âges et à toutes les conditions. Elle y remarqua entre autres divers uniformes anglais et américains, suspendus paisiblement à côté les uns des autres, et une perruque bien poudrée servait de couronnement à une robe de calicot rayé, telle qu’en portaient ordinairement les paysannes. En un mot, c’était une garde-robe complète, qui aurait pu suffire pour équiper toute une paroisse. En face de la cheminée était un buffet ouvert, dans lequel on voyait quelques assiettes, un pot de faïence, du pain et des restes de viandes froides. Devant le feu était une table dont le pied était cassé, et formée de planches non rabotées. Sur cette table était un livre fermé que sa taille et sa forme semblaient annoncer comme une Bible. Une escabelle et un petit nombre d’ustensiles de ménage composaient le reste du mobilier.
Mais ce qui attira surtout l’attention de Frances ce fut le personnage qui occupait alors cette chaumière. Il était assis sur l’escabelle, devant la table, le front appuyé sur une main de manière à cacher entièrement son visage, et paraissait fort occupé à examiner des papiers placés devant lui. Sur la table était une paire de pistolets richement montés, et l’on apercevait entre ses jambes la poignée d’un sabre qui n’annonçait pas moins de magnificence, et sur laquelle son autre main reposait négligemment. La grande taille de cet individu et ses membres plus robustes que ceux de Henry ou d’Harvey Birch suffirent, indépendamment de son costume, pour assurer Frances qu’elle ne voyait en lui ni l’un ni l’autre de ceux qu’elle cherchait. Il portait une redingote boutonnée jusqu’au menton, et qui, se séparant à ses genoux, laissait apercevoir des culottes de peau de buffle, des bottes et des éperons. Un chapeau rond était placé sur les pierres qui formaient le plancher de la hutte, comme pour faire place à une grande carte étendue sur la table avec d’autres papiers.
C’était un événement auquel Frances ne s’attendait guère. Elle était tellement convaincue que l’homme qu’elle avait vu deux fois près de cette étrange demeure était Harvey Birch, qu’en apprenant le rôle qu’il avait joué pour favoriser l’évasion de son frère, elle n’avait pas douté un instant qu’elle ne les trouvât tous deux dans l’endroit qu’elle voyait occupé par un autre individu. Elle regardait encore par la crevasse, ne sachant trop si elle devait se retirer ou attendre quelque temps dans l’espoir de voir arriver son frère, quand l’étranger retirant la main qui lui couvrait les yeux et levant la tête pour prendre une attitude de profonde réflexion, elle reconnut sur-le-champ les traits calmes et bienveillants de M. Harper.
Tout ce qu’il avait promis à son frère, tout ce que Dunwoodie avait dit de son caractère et de son pouvoir, toutes les marques d’intérêt paternel qu’il lui avait données à elle-même se présentèrent en même temps à l’imagination de Frances. Elle ouvrit la porte sur-le-champ, et s’écria en se précipitant à ses pieds et en embrassant ses genoux :
– Sauvez-le ! sauvez mon frère ! Souvenez-vous de vos promesses !
Le premier mouvement de M. Harper en voyant la porte s’ouvrir, avait été de se lever et d’approcher la main vers ses pistolets ; mais, soulevant le capuchon de la mante de Frances, qui lui couvrait une partie du visage, il la reconnut au même
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