Lettres - Tome II
propriétés d’Italie, voici le moment de les vendre comme aussi bien d’en acquérir dans les provinces, profitant de ce que les mêmes candidats vendent là-bas, pour acheter ici. Adieu.
XX. – C. PLINE SALUE SON CHER TACITE.
Dangers de Pline le Jeune pendant l’éruption du Vésuve.
La lettre, dites-vous, que, sur votre demande, je vous ai écrite au sujet de la mort de mon oncle, vous a inspiré le désir de connaître les craintes et même les périls auxquels j’ai été moi-même exposé à Misène où il m’avait laissé (car j’en avais entamé, puis brusquement interrompu le récit) {14} ;
« Quoique mon âme frémisse d’horreur à ce souvenir,
Je vais commencer. » {15}
Après le départ de mon oncle je consacrai le reste du jour à l’étude (c’était dans cette intention que j’étais resté) ; puis ce fut le bain, le dîner, un sommeil agité et court. Déjà depuis plusieurs jours on avait ressenti des tremblements de terre avant-coureurs, dont on s’était peu effrayé, parce qu’ils sont habituels en Campanie ; mais cette nuit-là ils devinrent si forts que l’on eût dit que tout était non seulement secoué, mais renversé. Ma mère se précipite dans ma chambre ; je me levais de mon côté, pour aller la réveiller, si elle dormait encore ; nous nous assîmes dans la cour, qui sépare la maison de la mer par un étroit espace. Est-ce courage ou imprudence ? je ne sais (j’étais alors dans ma dix-huitième année), je demande un livre de Tite-Live, et comme pour passer le temps, je me mets à lire et même à en faire des extraits, comme j’avais commencé. Survient un ami de mon oncle, récemment arrivé d’Espagne pour le voir. En nous trouvant ma mère et moi assis, et moi en train de lire, il se fâche et nous reproche à elle son indolence, à moi mon insouciance ; je n’en reste pas moins appliqué à ma lecture.
C’était déjà la première heure du jour, et la lumière était encore incertaine et comme languissante. Déjà les maisons environnantes ébranlées quoique nous fussions dans un espace découvert, mais étroit, nous inspiraient des craintes très vives et justifiées, au cas où elles s’écrouleraient. C’est alors que nous décidons de quitter la ville ; nous sommes suivis d’une foule consternée, qui (la frayeur prend cela pour de la prudence) préférant l’idée d’autrui à la sienne propre, se forme en une longue colonne, qui nous pousse et presse notre marche. Arrivés hors des maisons nous nous arrêtons. Là mille prodiges, mille terreurs nous assaillent. Les voitures que nous avions fait venir avec nous, quoique en terrain plat, s’en allaient de droite et de gauche et, même calées avec des pierres ne restaient pas en place. En outre nous voyions la mer se retirer comme si elle était refoulée par les secousses du sol. Il est du moins certain que le rivage avait gagné sur la mer et que beaucoup d’animaux marins restaient à sec sur le sable. Du côté opposé une nuée noire et effrayante, déchirée par des vapeurs de feu, qui se tordaient et s’élançaient en zigzag, laissait échapper de ses flancs entrouverts de longues traînées de flammes, semblables à des éclairs, mais plus grands.
Alors le même ami venu d’Espagne revint à la charge avec plus de force : « Si votre père, dit-il, si votre oncle est vivant, il veut que vous soyez sauvés ; s’il a péri, il a voulu que vous lui surviviez ; que tardez-vous donc à fuir ? » Nous répondîmes que, tant que nous serions incertains de son salut, nous ne songerions pas au nôtre. Sans attendre davantage il s’élance et d’une course précipitée il se soustrait au danger. Peu après cette nue s’abaisse sur la terre, couvre les flots ; elle enveloppait et cachait Caprée et dérobait à nos yeux le promontoire de Misène. Alors ma mère se met à me prier, à me presser, à m’ordonner de fuir n’importe comment : c’était permis à un jeune homme, elle, appesantie par les ans et la maladie mourrait contente, si elle n’était pas cause de ma mort. Moi je lui dis que jamais je ne me sauverais qu’avec elle. Et la prenant par le bras, je la force à doubler le pas. Elle obéit à regret et s’accuse de me retarder. Voilà la cendre, peu épaisse encore cependant. Je tourne la tête ; une vapeur noire et épaisse nous pressait par derrière et, se répandant sur la terre à la manière d’un torrent, nous suivait.
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