Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
l’entraînait à longues enjambées. À nouveau, tandis qu’il avançait sans se soucier d’elle en bombant son torse aussi noir et bouclé que sa barbe, elle s’acharna à mordre, à griffer, à s’arc-bouter, et trébuchant encore à s’agripper à tout sans pouvoir rien tenir, aspérités de rocs et branches de garrigue, touffes, ronciers, ciel même, le poing en sang, jusqu’à se voir devant Pierre jetée.
    Elle resta sur l’herbe à haleter et lancer des regards de proie fuyarde à la lande presque dissimulée par les bottes venues de partout la cerner. Esclassan, la désignant de la poigne qui tenait encore le lièvre, dit qu’il l’avait trouvée à braconner à la lisière de la forêt. Elle avait seize ans, guère plus. Elle était vêtue d’un vieux sac où son corps se perdait, malgré sa ceinture de corde étroitement serrée. Sous l’averse de cheveux piqués de paille qui lui tombaient du front jusque sur la poitrine sa bouche se mit à trembler et balbutier. Vers Jourdain elle leva son visage crasseux. De lui seul, avec une véhémence éperdue, elle sembla exiger secours.
    — Il nous faut la tuer, dit Pierre. J’ai promis que nous ne serions vus de personne. Nous risquerions trop à la laisser aller.
    Elle tourna vivement vers lui la tête et se traînant sur les genoux elle voulut saisir la tunique de cette ombre démesurée qui venait de la vouer à la mort. Par une déchirure de son haillon un sein pointu fugacement parut. Des soudards rirent. Il en fut un pour s’accroupir et fourrer la main sous sa guenille en roucoulant des paillardises. Elle fit un bond si brusque de côté qu’elle s’en vint rouler contre Thomas. Les chevaux effrayés se cabrèrent. Le garçon eut grand-peine à les tenir. Il dit, presque emporté par les rebuffades des bêtes :
    — Je pourrais avec moi la garder prisonnière.
    Pierre haussa les épaules et ordonna d’un geste à Esclassan d’amener la pauvresse à son sort décidé. Vint à Jourdain le désir violent de partir, loin et seul, mais il ne bougea pas, au contraire, il s’appuya contre le rocher et dit sèchement :
    — Donne-lui sa chance.
    Pierre regarda son frère d’armes. Il lui sentit cette force revêche que par une sorte de crainte qu’il ne s’expliquait pas il ne s’était jamais aventuré à contrebattre. Il en fut agacé, s’éloigna de quelques pas, revint comme s’il ne savait que faire de son corps. De fait, quand Jourdain parlait ainsi entre ses dents, de ce ton trop net et trop calme, il paraissait n’avoir plus d’ami en ce monde.
    — Souviens-toi de nos chasses, dit-il encore sourdement. Au nord du bois sont des chiens et des hommes, au sud sont des chiens et des hommes, à l’ouest sont des chiens et des hommes. Nous gardons l’est ouvert. C’est le chemin de Dieu. Aux loups même on laisse leur chance. Donne à cette fille la sienne.
    — Elle l’a eue, répondit Pierre. Elle aurait pu s’enfuir.
    Il se prit à rire malaisément, le regard pitoyable, les bras ouverts à l’évidence.
    — Le bois n’était fermé que d’un côté, mon beau !
    — C’est vrai, j’y étais seul, dit Esclassan énormément jovial, tenant à bout de bras sa proie qui remuait encore comme bête hargneuse.
    — Qui te parle, canaille ? rugit Pierre à sa face, tout d’un coup emporté par les tumultes qui lui bouillonnaient au cœur.
    Comme un paquet de hardes il releva la fille et la jeta sur le bonhomme qu’il se mit à pousser au loin à grandes bourrades, coups de botte au train et hautes insultes après qu’il eut cessé de le poursuivre, tandis que l’autre, le dos courbé comme sous une ondée, à travers l’air du soir s’efforçait de courir avec son fardeau de pauvre vie.
    Les hommes qui les environnaient s’éloignèrent. Les uns par petits groupes s’en furent au jeu de dés sur des pierres plates, d’autres à des palabres de fin de jour. Pierre soupira bruyamment, se tourna vers Thomas, lui désigna le grand bougre presque effacé au loin dans la brume nocturne.
    — Suis-le, petit, dit-il. Surveille et reviens-nous.
    Il attendit que le garçon se fut éloigné avec les deux chevaux, puis, paisible maintenant face à la vaste nuit :
    — Elle tient un couteau caché dans sa guenille.
    — Je l’ai vu aussi, lui répondit Jourdain.
    — Dieu fera ce qu’il voudra, pas vrai ?
    Ils rirent un peu, s’assirent contre le rocher et ne parlèrent plus.
    Quand Thomas parvint au petit bois

Weitere Kostenlose Bücher