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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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en trouant cette renarde.
    Il se tourna d’un coup contre le roc, des pieds et des reins poussa ses compagnons au large et se pelotonna. Des ronflements tonitruants envahirent bientôt l’air nocturne.
    — Mon maître, dit tout à coup Thomas à voix basse et pressante, croyez-vous qu’Esclassan, la nuit dernière, a dormi simplement, comme nous dormons tous ? Croyez-vous pas qu’un savoir lui est venu, un mot pour tout comprendre, un air de Dieu peut-être, dans son dernier sommeil de vivant ?
    Le garçon se souleva sur le coude, chercha le visage de cet homme au savoir fort et sûr selon son jeune cœur, mais ne put le voir. Jourdain avait tiré son manteau sur ses yeux. Thomas crut qu’il dormait. En vérité, dans le creux de fatigue où il était, il avait abandonné à la confusion des ténèbres le mystère où étaient désormais ensemble le mort et la vivante enfuie. Il pensait à Jeanne comme l’on pense parfois à des êtres inattendus, et s’en trouvait étrangement apaisé.
     
    Le lendemain vers le milieu de l’après-midi ils sortirent de la forêt d’Antioche et firent halte dans un hameau où ne vivaient qu’une vieille femme, une chèvre, quelques volailles et un cheval de trait. Là, ils s’assemblèrent à l’abri d’une grange où logeaient des oiseaux aux ailes lourdes dans l’obscurité des hautes poutres. Pierre fit asseoir ses hommes parmi la paille poussiéreuse. Il leur dit que l’angélus lointain qui leur venait par le portail ouvert était celui d’Avignonet. Il leur dit aussi qu’Étienne de Saint-Thibéry et Guillaume Arnaud, juges inquisiteurs de Toulouse, avec leurs clercs, leurs scribes, leurs registres et leur garde, étaient depuis trois jours dans cette ville, mais qu’ils n’y condamneraient personne comme ils en avaient l’intention car lui, Pierre de Mirepoix, avait en grand secret conduit jusqu’à ce lieu sa troupe afin qu’elle fasse carnage de ces maîtres du pays, haïs et craints de tous. Il en avait ainsi décidé avec le vénérable Bernard Marti, guide de leurs âmes, et Jacques d’Alfaro, demi-frère du comte Raymond de Toulouse et seigneur du château où logeaient ceux qui devaient mourir.
    Il affirma enfin que la bénédiction du comte Raymond leur était acquise, et que ce noble allié de leur cause n’attendait que la mort des persécuteurs de son peuple pour rameuter ses barons et se joindre aux villes et villages où l’on prendrait assurément les armes, dès la nouvelle apprise. Ainsi seraient partout brûlés les registres d’inquisition, partout les moines s’en retourneraient tête basse à leurs couvents et abbayes, partout les Français harcelés se verraient forcés de quitter à jamais les terres du Lauragais, de Comminges et de Provence. Il se tut et se prit à rire, submergé de vivats jubilants et féroces. Il ouvrit les bras pour accueillir ses gens qui lui venaient autour mais resta tout surpris à regarder dehors. Jourdain était debout dans le jour du portail. Il lui tournait le dos. Près de ses bottes immobiles des poules picoraient la poussière. Comme tous l’appelaient, lentement il s’éloigna dans la cour vide.

3
    — Hommes et femmes, que Dieu soit dans votre cœur comme la flamme d’une lampe. Qu’Il vous garde en éveil, qu’il vous désigne l’ami vrai, le chemin juste et le grain nourricier, qu’il tienne éloignés de vous les animaux sauvages, comme la flamme d’une lampe. Hommes et femmes, que Dieu vous rassure dans l’obscurité du monde, comme la flamme d’une lampe. Amen.
    Ainsi parla d’abord Bernard Marti à ceux de Montségur réunis dans la cour entre les auvents sombres où remuaient les bêtes. Sous la lune presque ronde posée en haut du mur nul ne bougea dans l’assemblée. Les parfaits en longue robe aux premiers rangs restèrent recueillis. Derrière eux les pauvres hères des cabanes attendirent d’autres paroles, en silence anxieux, sauf Mersende qui se mit à dodeliner et soupirer qu’elle avait trop mal aux jambes et trop envie de vider sa tripaille pour supporter longtemps de telles patenôtres. Jeanne et Béatrice la poussèrent du coude en étouffant des rires. Elle se rebiffa comme une chatte de broussaille et leur répondit vertement que soulager sa colique lui était pour l’heure autrement urgent qu’élever son âme. La réprobation alentour attisant sa hargne, elle se prit bientôt à ronchonner contre ces hommes qui la voulaient gouverner jusque dans ses

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