Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
il lui sembla d’abord qu’Esclassan, dans les ténèbres, se colletait avec un spectre. Puis il devina une courbe d’épaule, des mains affairées, un visage tout à coup apparu hors d’une chevelure obscure. La fille, droite contre un arbre, s’était dénudée jusqu’à la taille. Il la vit offrir ses seins aux embrassements du bonhomme, tandis qu’elle lui défaisait la ceinture et se frottant à lui soulevait par à-coups nerveux son haillon le long de ses jambes ouvertes. Le corps lourd qu’elle excitait impatiemment se courba sur elle pour empoigner ses cuisses sous son vêtement troussé. De gorge en bouche et creux de cou son mufle se mit à grogner. Elle poussa un cri d’oiseau, eut un brusque sursaut aussitôt étouffé sous la large carrure de l’homme. Un instant il sembla la submerger tout entière et l’engloutir en lui, puis hors de son encolure massive un bras apparut soudain, frêle et blanc comme la lune, erra dans l’air, et d’un trait s’abattit sur sa nuque.
    Esclassan Mange-Fort exhala une sorte de soupir rauque, rien de plus. Il ploya les genoux, battit l’obscurité, chercha appui pour se garder debout. La fille sous lui prestement se déroba. Il n’étreignit que bois rugueux. Lentement, écaillant l’écorce, il se laissa glisser à terre tandis qu’elle fuyait, à demi nue, bondissante au-dessus des bruyères, agile entre la nuit opaque et les lueurs d’étoiles, déjà lointaine et disparue.
    Thomas s’en vint au corps agenouillé sous le haut feuillage noir en criant le nom de son compère de campagne mais il n’en eut pas de réponse. Esclassan tenait le tronc étroitement embrassé contre sa joue. La bouche ouverte et les yeux fixes il semblait écouter de secrètes paroles d’arbre avec l’imperturbable attention des morts. Du manche de couteau fiché dans son échine le sang suintait à peine. Le garçon, répugnant à l’ôter, tendit une main indécise, gémit :
    — Oh ! Dieu de Dieu !
    Il se releva sans avoir rien touché, se détourna, bégaya. Un long hurlement d’appel à l’aide déborda de sa gorge. Les bras en avant il s’élança hors du bois. Comme il s’époumonait à travers la lande, courant au rocher noir où il avait laissé ses maîtres, Pierre et Jourdain vinrent en hâte à sa rencontre. Aux bribes haletantes qui les assaillirent ils surent la nouvelle avant qu’elle soit dite. Pierre se mit à secouer l’écuyer en pestant et en exigeant à grosse voix d’inutiles précisions sur les circonstances du meurtre. Tandis que le jeune affolé, les mains agitées, démêlait à grand-peine flots de mots et souffle court, Jourdain, sans souci de l’entendre, s’éloigna vers le bois. Il n’erra pas longtemps à chercher Esclassan. Le perdu n’était guère éloigné de l’abri de branches où les chevaux broutaient l’herbe, paisibles comme au jardin d’Éden. De son dos arrondi il arracha l’arme paysanne tout juste bonne à trancher raves et collets et le coucha le long d’un buisson d’aubépines.
    Aux quelques soudards venus le rejoindre il ordonna de creuser une fosse et d’enterrer leur frère de route. Aucun ne demanda de quelle main le pendard était mort. Aucun ne le plaignit, ni ne pria pour lui, ni ne maudit le sort. Chacun fit son travail en silence contrit, les uns à fouir la terre et à rassembler des cailloux pour en couvrir le tertre, les autres à déshabiller le cadavre jusqu’à le mettre nu. On ne lui laissa que les deux clous de forge liés en croix qu’il portait au cou au bout d’un lacet de cuir. Sa tunique et sa dague, ses bottes et ses chausses, sa ceinture à boucle de cuivre et les six deniers de sa bourse furent jetés en tas près de sa tombe et partagés à la fin de l’ouvrage entre les fossoyeurs, comme un butin de jeu.
    Quand les hommes allèrent dormir, la lune à la cime des pins régnait déjà sur ses troupeaux d’étoiles. Jourdain s’en revint au campement sommaire où étaient Pierre et Thomas. L’écuyer tremblait et sans cesse remuait sous sa couverture. Pierre, de son long étalé, les mains croisées sur la nuque, contemplait fixement le ciel.
    — Nous n’aurions pas dû laisser son couteau à cette fille, dit-il.
    Un moment il se tut, puis :
    — À quoi bon nous creuser la misère ? Peau contre cuirasse, elle l’aurait tué quand même. Le combat n’était pas égal. Elle avait la bonne peur, celle de son ennemi. Il avait la mauvaise, celle de se faire grand mal

Weitere Kostenlose Bücher