L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
dérobent linge, manteaux, argent et tout autre meuble, et de tout rendent compte à leur capitaine, qui y prend son droit. De tout ce qu’ils joignent au jeu, ils rendent aussi compte, fors ce qu’ils gagnent à dire la bonne aventure. Ils hardent fort heureusement et couvrent fort bien le vice d’un cheval.
« Quand ils savent quelque bon marchand qui passe le pays, ils se déguisent et l’attrapent, et font cela ordinairement près de quelque noblesse, feignant d’y faire leur retraite ; puis changent d’accoutrement et font ferrer leurs chevaux à rebours, et couvrent les fers de feutre, craignant qu’on les entende marcher.
« Un jour de fête à un petit village près de Moulins, il y avait les noces d’un paysan fort riche ; aucuns se mettent à jouer avec nos compagnons, et perdent quelque argent. Comme les uns jouent, leurs femmes dérobent ; et de vrai y avait butin de cinq cents écus, tant aux conviés qu’à plusieurs autres. Nous fûmes découverts pour quatre francs qu’un jeune marchant perdit, qui dansait aux noces, lequel avait fermé sa maison et ses coffres. Les paysans se jettent sur nos malles et nous sur leurs valises et sur leurs têtes, et eux sur notre dos à coups d’épée et de poitrinal, et nos dames à coups de couteau, de façon que nous les étrillâmes bien. Ces paysans vont se plaindre au gouverneur de Moulins. Ce qu’ayant oui envoie vingt-cinq cuirassiers et cinquante harquebusiers pour nous charger. L’une de nos femmes qui était à Moulins nous en donna l’avertissement et il nous fallait passer une rivière, ce qui nous incommodait. Notre capitaine s’avance au grand trot, et laisse un poitrinalier demi-lieue derrière, lui enchargeant qu’aussitôt qu’il découvrirait quelque chose il nous avertît de leur nombre : ce qu’il fit. Le capitaine ordonna ce qui suit : tout le monde fut commandé de mettre pied à terre, et feindre les hommes d’être estropiés et blessés ; et commande à deux femmes de se laisser tomber de cheval, et faire les demi mortes : l’une qui avait eu un enfant depuis deux jours, ensanglante elle et son enfant, et ainsi le met entre ses jambes. Le capitaine Charles saigne la bouche de ses chevaux, et ensanglante ses enfants et ses gens pour faire bonne pipée. Charles va au-devant de cette noblesse tout sanglant : lesquels, émus de pitié, se tournent vers les paysans, ayant plus envie de les charger que nous. Les uns avaient les bras au col, les jambes à l’arçon de la selle, et notre colonel qui ne manquait pas de remonter son bon droit : tellement qu’ils se retirent, et nous de piquer. Après leur retraite, croyez que tous se portaient bien, et allâmes repaître à quinze lieues de là. J’ai passé depuis par ce lieu, où je vous jure qu’encore aujourd’hui ce trait est en mémoire à ceux du pays. »
VERS LE GÉNOCIDE
Si l’Allemagne nazie accomplit radicalement le traitement du problème tsigane sans que s’élève la moindre protestation, aussi bien sur son territoire qu’en Europe occupée, on peut difficilement comprendre le silence des nations libres. Nous savons le gigantesque mouvement de protestation qui se tissa dans le monde entier contre l’euthanasie des incurables (Hitler dut en interrompre la réalisation) et contre l’extermination des juifs. Révolte qui, bien souvent, était suivie d’actes d’aide et d’accueil. De véritables réseaux de secours, chargés de favoriser la clandestinité, se constituèrent ; au moins deux États, qui cependant n’étaient plus souverains, refusèrent de livrer « leurs juifs ».
Rien de comparable ou d’approchant dans le déroulement jusqu’à son aboutissement, de la persécution tsigane. Seulement quelques « indignations » régionales bien vite tues et des tentatives isolées « d’amitié » émanant de prêtres, de personnel sanitaire qui étaient au contact des tsiganes dans les centres de regroupement.
Pour les tsiganes qui, aujourd’hui, s’interrogent, dans le monde, sur les raisons de cette indifférence, elles sont évidentes. Les juifs, depuis des siècles, même combattus et méprisés, étaient intégrés dans la vie des cités et des nations. Les tsiganes, dans leur grande majorité, avaient refusé toute modification, mieux toute altération de leur originalité ethnique. Certainement chaque Européen connaissait, personnellement, une ou plusieurs familles juives. Qui peut, aujourd’hui, dire qu’il connaît
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