L'holocauste oublié
il n’eut pas le temps de s’enfuir et fut assommé à coups de bâton par ceux qu’il avait tant fait souffrir. Comme il était étendu sur le sol, un jeune Russe ramassa une pierre qui pesait de 30 à 40 kilos et la laissa tomber sur sa tête, qui fut écrasée comme une noix.
— Les nouvelles (192) se répandent, rapides comme l’éclair.
— « On a tué Karl !
— « Les Russes sont en train de noyer deux Kapos du Steinbruck dans la piscine ! »
— Des hommes courent dans le camp, armés de bâtons. On entend des cris dans les Blocks. Deux fuyards sont massacrés sous mes yeux en quelques minutes. C’est l’ancien chef du Block 7 et le Kapo du crématoire.
— « Et Lorenz ? et Lorenz ? », crie-t-on de tous côtés.
— « Abattu à coups de revolver, derrière la boulangerie.
— « Ce n’est pas vrai. C’est la sentinelle qui a tiré sur lui au moment où il passait les barbelés.
— « Mais il est mort, au moins ?
— « On ne sait pas. »
— Au bout de l’allée, quatre hommes arrivent en portant une civière sur laquelle se débat une masse sanguinolente. Une foule en délire l’accompagne en sautant de joie.
— Simon, en les voyant s’approcher, me dit avec une pointe d’inquiétude :
— « Je crois que ça risque d’aller trop loin.
— « Ils ne se trompent pas, sois sans crainte. »
— La civière passe devant nous. Le blessé, la tête ruisselante de sang, est assis, les jambes pendantes. Il pousse de petits cris plaintifs et demande pardon à ceux qui le conduisent.
— Un Belge accouru au passage, s’exclame à nos côtés :
— « Nom de Dieu ! le tsigane !
— « Approchez ! Venez tous ! », crient les autres.
— Simon sourit :
— « Ça c’est bien ! »
— Eh oui ! c’est le tsigane. L’homme qui, à lui seul, en a tué ou fait mourir des milliers d’autres. L’homme de l’épouvante et de la terreur. L’homme qui rit et qui, maintenant, avec ses yeux arrachés et ses jambes cassées joint les mains comme un lâche dans un geste de suprême supplication. Près de moi, un jeune Russe, qui se traîne péniblement, saisit une énorme pierre et, de toutes les forces qui lui restent, la lance sur cette tête rouge que le pavé vient frapper d’un bruit mat. Un Tchèque, au passage, trempe sa main dans le sang. Il rit. Les porteurs ne s’arrêtent pas. Ils poursuivent leur chemin vers le crématoire.
— « Ne le tuez pas, crie une voix. Il faut le brûler vivant. »
— Derrière le Block 18, un groupe de Polonais, les bâtons levés, se lance à la poursuite d’un homme qui s’enfuit en hurlant de peur. Nous le voyons s’abattre un peu plus loin comme un cerf sous la curée.
— L’heure de la justice a sonné. Simon et moi regardons sans broncher. Sans un mot.
— Cinquante-deux bandits ont été tués sur environ quatre cents. La justice populaire ne s’est pas abattue injustement. Les plus effroyables tueurs ont payé leurs crimes…
— Le sang (193) doit couler. Ne sens-tu pas que c’est nécessaire ? Immense soulagement, après toute cette sauvagerie. Il faut se venger. C’est bon, la vengeance, et puisque les S.S. nous ont échappé, payons-nous du moins sur leurs valets.
— En place, donc, pour le spectacle ; il sera fastueux. Il en vaut la peine ; et pour te mettre dans l’ambiance, tu n’as qu’à réfléchir, oh ! une petite minute, à tout ce que tu as enduré ces derniers mois, et à tout ce que tu as vu. Pas besoin de répétition.
— Première entrée de ballet : les pantins rouges. Quelques chefs de Block imprévoyants, attaqués par surprise et saignés négligemment ; sang dégoulinant sur les vêtements, sur nos vêtements, ceux qu’ils nous ont volés. Voyons un peu ce que peut faire un bon couteau, manié avec énergie, Messire Otto le sait maintenant.
— Deuxième entrée : la danse du tomawak. Que les matraques entrent en danse. C’est infaillible ; que les cervelles sautent contre les parois de bois, magnifiques fioritures ! Et si tu es un raffiné, un connaisseur, il n’est pas besoin de bâton ; les talons suffisent, bien appliqués sur le crâne. Tiens, comme cela, sur Paul Friedl, le chien entre les chiens.
— Troisième entrée : les jeux d’eau. Réunion autour du bassin de la place de l’Appel. On verra bien qui fera le plus beau plongeon. Celui-ci ? Essayons donc avec cet autre-là. Tiens, il nage : allons,
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