L'Homme au masque de fer
abord, ils ne remarquèrent rien de suspect. La rue était déserte. Dans la cour, en dehors d’un valet d’écurie, qui aidait à descendre de sa monture un voyageur, aucune figure inquiétante ne se manifestait.
Il faut croire que les agents secrets de M. de Durbec possédaient l’art de se rendre invisibles, à moins que, fatigués de leur filature, ils eussent été souper.
Malgré cela, Castel-Rajac, qui n’était qu’à moitié rassuré, proposa à son ami de monter la garde à tour de rôle, afin de prévenir toute attaque imprévue.
Et, tirant son épée, tout en appuyant la pointe de son arme contre le sol :
– Maintenant, fit-il, ils peuvent venir, ils seront bien reçus.
Quant à Mazarin, Hector d’Assignac et Henri de Laparède, ils se firent ouvrir une chambre dont une des fenêtres, placée à l’angle de l’hostellerie, leur permettait de surveiller efficacement la rue.
Une heure passa, sans le moindre incident, lorsque le chevalier Gaëtan, qui avait l’oreille aux aguets, crut entendre derrière lui un bruit de pas très léger s’avançant dans sa direction.
Brusquement, il se retourna, l’épée en avant mais il n’eut pas le temps de faire un geste.
Subitement coiffé d’un sac en drap noir, empoigné par les bras, tiraillé par les jambes et jeté à terre en un clin d’œil, il se sentit ligoté, bâillonné et dans l’impossibilité d’opposer à ses assaillants la moindre résistance.
À l’intérieur de l’hostellerie, une autre scène se déroulait, non moins rapidement que celle que nous venons de décrire.
Le capitaine baron de Savières, après avoir fait irruption dans la salle à la tête de douze de ses gardes, escaladait rapidement l’escalier qui conduisait à la chambre occupée par M me de Chevreuse et heurtait à la porte en disant :
– Ouvrez, au nom du roi !
À peine avait-il prononcé ces mots que Assignac et Laparède apparaissaient sur le palier. Ils allaient dégainer ; ils n’en eurent pas le temps. Les gardes du cardinal se précipitaient sur eux et les refoulaient dans leur chambre, les désarmaient et leur faisaient subir le même sort qu’à leur ami.
Quant à M. de Mazarin, il avait disparu.
Nous revenons à la duchesse de Chevreuse, qui s’était empressée d’obéir à l’injonction de M. de Savières et lui avait ouvert toute grande sa porte.
– Que voulez-vous de moi ? lui dit-elle, en dévisageant, d’un œil sévère, l’intrus qui se présentait à elle d’une façon aussi cavalière.
– Je suis le baron de Savières, capitaine des gardes de Son Éminence le cardinal de Richelieu.
– Je vous reconnais fort bien, monsieur, déclara la duchesse, et je ne suppose pas que vos fonctions vous donnent le droit de vous conduire d’une façon aussi peu chevaleresque.
– Madame la duchesse, riposta le capitaine avec beaucoup de calme, je suis chargé d’une mission que j’ai le devoir d’accomplir jusqu’au bout.
– Et qui consiste, sans doute, à vous emparer de ma personne ?
– Non, madame la duchesse, mais à vous prier de bien vouloir vous rendre jusqu’au château de Montgiron.
– Où je serai prisonnière ?
– Madame, je l’ignore. Je suis également chargé de vous demander de me remettre immédiatement un enfant que vous avez amené ici.
– Ah ! vraiment, ironisa la duchesse. Arrêter une femme et s’emparer d’un enfant est un double exploit qui ne m’étonne point de la part de celui qui vous envoie jusqu’ici, mais qui, véritablement, est indigne du gentilhomme et du soldat que vous êtes.
Savières eut un imperceptible frémissement. Le coup avait porté, mais il lui était impossible de reculer. Il se tut en se mordant les lèvres.
Profitant de cet avantage, M me de Chevreuse, surprise de la carence de ses amis et craignant qu’ils ne fussent tombés dans quelque guet-apens, reprenait, pour gagner du temps :
– Je suis surprise, monsieur le capitaine, que votre maître n’ait pas plutôt choisi, pour remplir son exploit, un des nombreux espions qu’il entretient à sa solde.
Devinant la ruse de son interlocutrice, Savîères reprit :
– Je ne suis pas ici, madame la duchesse, pour discuter avec vous des raisons qui font agir M. le cardinal, pas plus que sur les moyens qu’il a cru devoir employer à votre égard ; je ne puis que vous répéter ce que je viens de vous dire, et je vous demande instamment de ne pas me contraindre à employer
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