L'Homme au masque de fer
duchesse, effrayée, en mettant un doigt sur ses lèvres. Voilà une imprudente parole, chevalier !
M me de Chevreuse ne croyait pas encore si bien dire. Car, derrière le vantail de la porte du couloir, un homme, courbé, tenait son oreille collée et ne perdait pas une syllabe de la conversation.
– Oh ! oh ! fit-il pour lui-même en se redressant. Voilà une indication intéressante ! Après tout, c’est bien possible ! Voyez-moi ce faquin de Mazarini !
Il se retira sur la pointe des pieds, laissant les amants à leur tête-à-tête. Il en savait assez pour ce soir-là.
Comme il l’avait prévu, dès le lendemain matin, on se remit en route, au grand soulagement de M me Lopion, qui croyait à chaque instant voir surgir les gardes du cardinal-ministre et recommencer une bataille comme celle à laquelle elle avait déjà assisté.
Castel-Rajac chevauchait à côté du carrosse de sa bien-aimée, et tout en marchant, ils réussissaient à échanger quelques mots. Ils se sentaient l’un et l’autre parfaitement heureux. Jamais Richelieu n’avait imaginé, pour celle qu’il espérait punir, une pénitence aussi agréable !
Mais comme un rappel de l’homme rouge qui, de son aire, les surveillait encore, Durbec, derrière l’escorte, les suivait comme leur ombre, guidé par l’intérêt qui le liait au service du cardinal et par sa haine personnelle.
Bientôt, le paysage changea. Après la plaine de Gascogne, apparurent les premiers contreforts des montagnes pyrénéennes.
D’un geste, Castel-Rajac les montra à Marie.
– Voyez ! s’écria-t-il. C’est au milieu de cette nature sauvage que notre filleul est élevé. L’air des montagnes lui fera des muscles forts et un cœur intrépide…
Marie sourit.
– Dites aussi votre éducation et votre exemple, ami ! Je ne doute pas que notre cher Henry ne soit aussi un jour un gentilhomme accompli.
Lorsqu’ils arrivèrent à Bidarray, la jeune femme put se convaincre que le cadre était en effet idéal.
C’était un tout petit village, dominé par une vieille gentilhommière qui appartenait à une tante d’Hector d’Assignac, laquelle avait eu le bon esprit de mourir afin de laisser son manoir à son neveu.
Il était perché à l’avant d’un rocher faisant éperon, et dominant toute une verdoyante vallée, au fond de laquelle mugissait un torrent. Les maisons des paysans s’accrochaient au petit bonheur à la pierre, et les champs dégringolaient de terrasse en terrasse coupés çà et là de boqueteaux. Des troupeaux de chèvres faisaient tinter leurs clochettes ; par instant, l’aboi bref du chien qui les gardait se répercutait au loin dans le vallon. Le soleil peignait d’or les flancs de la montagne, et irradiait les vitres du vieux castel. En face, l’autre versant se teignait de pourpre et de violet comme une robe cardinalice. Très haut, dans le ciel, tournoyait un oiseau de proie… Et l’air était si pur, le ciel était si bleu, que Marie, suffoquée de plaisir, comprit maintenant pourquoi le jeune homme lui avait dit : « Vous oublierez Paris… »
Immobile, les narines frémissantes, la duchesse regardait ce prestigieux spectacle, ne pouvant s’en arracher. Il fallut que Gaëtan, doucement, lui murmure :
– Marie… Ne voulez-vous point voir le petit ?
La jeune femme tressaillit. Puis, s’arrachant à cette vision magique, elle se détourna.
– Vous avez raison, mon ami. Menez-moi vers lui !
Elle ne remonta point dans son carrosse, qu’elle avait quitté pour mieux contempler le splendide paysage. Elle voulut aller à pied jusqu’au château, dont la grande porte était ouverte à deux battants sur la cour intérieure.
– Prenez mon bras, ma chère Marie ! murmura Castel-Rajac.
Soutenant la jeune femme, dont les pieds délicats s’accommodaient mal des rudes galets des Pyrénées, ils arrivèrent au pont-levis et entrèrent dans la grande cour.
Des poules, des oies, picoraient, jusqu’entre les pattes d’un gros chien noir et feu, qui les laissait faire. Un homme s’avança à leur rencontre, et salua Marie jusqu’à terre. C’était Henri de Laparède.
– Où donc est monsieur d’Assignac ? interrogea gracieusement la duchesse.
Laparède eut un sourire.
– Par ma foi, madame, venez donc avec moi, si cela vous plaît ; je vous le montrerai…
Ils s’approchèrent du grand perron et le gravirent.
– Serait-il malade ? questionna M me de Chevreuse, avec
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