L'Homme au masque de fer
l’intermédiaire de son amie M me de Chevreuse l’avait confié au chevalier de Castel-Rajac et avait demandé à celui-ci de lui donner son nom et de lui servir de père, c’était parce qu’il fallait cacher à tout prix sa venue au monde, c’était parce qu’il était le fils de l’adultère !
S’expliquaient ainsi les paroles que Richelieu avait adressées à Castel-Rajac en prenant congé de lui dans la grande salle du château de Pau, paroles que lui, Henry, n’avait jamais oubliées, tant elles avaient laissé dans son esprit une impression ineffaçable.
À moins que son père ne le délivrât, et il en était sûr, il était condamné à vivre et à mourir dans son cachot.
Cette ressemblance l’avait à tout jamais perdu. Pourtant, Dieu sait qu’il n’avait jamais eu l’intention d’en tirer le moindre profit, et qu’il se trouvait heureux de la vie que son père lui avait faite. Il ne demandait qu’à suivre ses traces, à être un soldat comme lui, à verser son sang pour celui dont il était la réplique vivante, pour son frère que, même maintenant, au fond de sa misère, il ne demandait qu’à aimer, car il se disait :
– Il n’est pas possible que ce soit lui qui ait voulu cela. Sait-il même si j’existe ?
Et, avec une clairvoyance qui montrait combien il était resté maître de sa conscience et de ses esprits, il ajoutait :
– Ce sont ceux qui l’entourent qui ont dû se rendre coupables de ce forfait. Et pourquoi, grand Dieu ?… Pourquoi me craignent-ils ? Parce qu’ils ne me connaissent pas. Mais si je les voyais, je leur dirais qu’ils n’ont rien à redouter de moi, que je suis prêt à m’éloigner, que je n’ai aucune ambition et que, ne voulant pas être le témoignage vivant de la faute d’une mère, je suis prêt à m’en aller loin, très loin, et ne jamais reparaître.
C’était dans ces dispositions d’âme qu’Henry, un jour, plongé dans un mutisme dont rien ne semblait devoir le faire départir, après être arrivé à Cannes, avait franchi dans une barque, en compagnie de M. de Saint-Mars, de M. de Durbec et de son escorte, la faible distance qui sépare de la côte le délicieux petit archipel méditerranéen dont fait partie l’île Sainte-Marguerite.
Tout de suite, on l’avait conduit dans la prison qui lui était destinée.
Ce n’était pas à proprement parler un véritable cachot, mais plutôt une vaste salle qui avait servi, autrefois, de cabinet au gouverneur. Les murailles, dont on apercevait les grosses pierres, que ne recouvrait aucun enduit, étaient d’une épaisseur telle qu’elles semblaient à l’abri même de l’artillerie. Deux fenêtres assez larges et assez hautes, mais garnies de barreaux de fer d’une solidité à toute épreuve, donnaient sur la mer. Les meubles en bois, d’une simplicité presque rudimentaire : table, chaises, escabeaux, un lit garni d’une simple couverture de laine brune formaient tout l’ameublement.
M. de Saint-Mars présenta ensuite au prisonnier Jean Martigues, le pêcheur qui devait lui servir de valet.
Toujours sans prononcer un mot, Henry accueillit ces explications. On eût dit qu’il avait fait le vœu de ne plus prononcer une parole. Trois jours s’écoulèrent, pour lui monotones, interminables. Ne mangeant que le strict nécessaire, car on eût dit qu’une force intérieure le poussait à vivre, le fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche usait son temps soit à lire les quelques livres que M. de Saint-Mars lui apportait lui-même, et lui reprenait, non sans avoir soigneusement vérifié s’il n’y manquait pas un feuillet, soit en passant de longues heures devant la fenêtre de son cachot à contempler la mer, tantôt plus bleue que le ciel, calme comme les eaux d’un lac italien, tantôt agitée, démontée et venant battre de ses vagues furieuses les rochers rougeâtres sur lesquels reposaient les murs de la citadelle.
Lorsque, longtemps, très longtemps après, – il y avait bien un an qu’il était ainsi captif, – par un beau jour de printemps où la mer et le ciel n’avaient jamais été d’un plus bel azur, où les rayons du soleil miroitaient sur les flots et où une brise légère gonflait les voiles qui sillonnaient l’horizon, un soupir d’espérance dilata sa poitrine.
Il venait d’apercevoir, en effet, passant tout près de lui, sur une barque de pêcheurs, trois hommes dans lesquels, bien qu’ils fussent habillés en
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