L'Homme au masque de fer
moi-même à M. le gouverneur de Sainte-Marguerite. Je partirai dès demain.
– Les routes ne sont pas très sûres, et deux hommes déterminés valent mieux qu’un, si brave soit-il. Voulez-vous me permettre de vous accompagner ?
– J’accepte votre offre, déclara Durbec. Et, maintenant, séparons-nous, car il est inutile qu’on nous voie ensemble. Depuis mon retour, je me suis aperçu que j’étais filé par un espion, sans doute aux gages du chevalier de Castel-Rajac ; voilà pourquoi, ce soir, j’ai pris toutes les précautions en vue d’assurer à notre entretien le secret le plus absolu.
– Où vous trouverai-je, demain, monsieur ?
– En bas de la côte de Saint-Germain, devant l’auberge du Franc-Étrier.
– À quelle heure ?
– Au premier coup de l’Angélus du matin.
Ils s’éloignèrent sans rien ajouter. Lorsqu’ils furent à une certaine distance, dégringolant du chêne sous lequel avaient été tenus les propos que nous venons de rapporter, un homme sauta à terre.
C’était Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-Rajac.
Le chevalier, qui avait conservé toute l’agilité de sa jeunesse, avait, ce soir-là, réussi à pister son ennemi sans attirer sur lui son attention. Il l’avait vu s’engager sous bois avec l’émissaire de M. de Saint-Mars. Alors, il s’était faufilé jusqu’à l’un des arbres de la clairière, au centre duquel il avait réussi à parvenir et à s’installer, surprenant ainsi le secret que, depuis de longs mois, il brûlait de connaître.
Maintenant, il n’en demandait pas davantage. Pour lui, le principal était fait. Et, tout en regagnant le château de Saint-Germain, il se disait :
– Ah ! les misérables, ils ont osé mettre sur son beau visage un masque de fer. Eh bien ! non seulement je lui arracherai ce masque, à ce cher et noble enfant, mais je l’arracherai, lui aussi, à ses bourreaux !
CHAPITRE IV
LE FRÈRE DU ROI
L’homme au masque de fer s’était réfugié dans un silence non point de résignation, mais de dignité. Et il s’était efforcé d’éclaircir lui-même une énigme que M. de Durbec et M. de Saint-Mars ne voulaient pas lui expliquer.
Alors, il revécut par la pensée toutes les phases de son existence. Par un effort prodigieux de mémoire, le fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche en arriva à reconstituer, jusque dans leurs plus petits détails, toutes ses années depuis qu’il avait l’âge de raison. Une fois en possession de tous les faits qui formaient sa vie, l’un domina tout : sa ressemblance avec le roi, qui ne lui avait pas échappé, et au sujet de laquelle, à plusieurs reprises, il avait interrogé son père, ou du moins celui qu’il croyait l’être.
Mais le chevalier lui avait toujours répondu : « C’est un effet du hasard. » Et Henry s’était toujours contenté de cette explication sommaire, qu’il estimait cependant décisive, tant il croyait l’homme qui l’avait élevé, incapable non pas du moindre mensonge, mais de la plus légère inexactitude.
Maintenant, un doute germait en lui avec une persistance sans cesse croissante, et il entrevoyait la vérité comme à travers une brume.
Se rappelant aussi des visites que lui avait faites, au cours des premières années où il se trouvait au manoir de Chevreuse, une dame qui lui parlait avec tant de douceur et le serrait tendrement dans ses bras, et qu’un jour il avait reconnu au milieu d’un brillant cortège pour la reine Anne d’Autriche, il en arrivait non plus à se demander : « Si elle était ma mère ! » Mais à se dire : « Je suis son fils ! »
Alors, le cœur de plus en plus serré, il songeait qu’en ce cas le chevalier de Castel-Rajac ne pouvait être son véritable père, car, en grandissant, bien que le chevalier ne lui eût fait aucune confidence et qu’il ne se fût jamais permis de lui adresser la moindre question indiscrète, Henry n’avait pas été sans se rendre compte des liens si puissants et si tendres qui unissaient la duchesse de Chevreuse à Castel-Rajac. Et, logiquement, sainement, il en concluait que le chevalier ne pouvait être que son père adoptif. Alors, quel était le véritable ? Ce ne pouvait être Louis XIII, puisque, en effet, Henry était né un an avant Louis XIV et, si sa légitimité n’avait pas été impossible à établir, il eût été proclamé héritier de la couronne.
Si donc on l’avait fait disparaître, si la reine, par
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