L'Homme au masque de fer
point peur de vous, j’ai peur pour vous, et cela me déchirerait le cœur s’il vous arrivait malheur au cours de cette si redoutable aventure.
» N’est-ce point moi qui en serais la cause, puisque c’est moi qui, jadis, vous ai amené cet enfant que, si généreusement et si noblement, vous avez pris sous votre sauvegarde ? »
Et, avec une profonde mélancolie, M me de Chevreuse ajouta :
– Combien, aujourd’hui, je regrette d’avoir cédé aux instances de la reine.
– Ne dites pas cela, interrompit vivement Castel-Rajac. En agissant de la sorte, non seulement vous m’avez prouvé dans quelle estime vous me teniez, mais vous m’avez encore donné l’occasion d’accomplir un acte qui sera l’honneur et l’orgueil de ma vie : façonner un cœur, former une âme, créer de toutes pièces un vrai gentilhomme et lui forger de mes mains cette armure morale qui le met à l’abri de toutes les bassesses et de toutes les turpitudes de ce monde ! »
Comme des larmes apparaissaient dans les beaux yeux de la duchesse, Castel-Rajac s’avança vers elle et, l’attirant dans ses bras, il lui dit :
– Ne pleurez pas. Marie. Je le sens, je vaincrai et, bientôt, demain, cette nuit, peut-être, je vous ramènerai celui qu’on m’avait volé, je vous restituerai le dépôt que vous aviez remis entre mes mains et, après avoir mis en sûreté celui que je persiste et persisterai toujours à considérer comme mon fils, vous pourrez retourner près de votre amie et lui dire que, vous aussi, vous avez tenu votre serment.
– Ah ! mon ami, s’écria la duchesse en enlaçant Gaëtan, je vous devrai plus que la vie !
À peine avait-elle prononcé ces mots qu’une petite porte en tapisserie, qui se trouvait tout au fond de la pièce, s’ouvrit, livrant passage à une jeune femme fort élégante et d’une rare beauté.
C’était la comtesse de Lussey, une nièce de la duchesse de Chevreuse, à qui appartenait la maison où Marie de Rohan et Castel-Rajac avaient reçu la plus cordiale hospitalité.
M me de Lussey avait pour la duchesse, sa marraine, une affection profonde, car elle lui devait la dot qui lui avait permis d’épouser un jeune seigneur méridional et charmant. Aussi avait-elle été enchantée en l’absence de son mari, appelé à Marseille pour affaires de famille, de lui ouvrir toute grande sa demeure.
Quoiqu’elle eût en sa nièce une confiance absolue, M me de Chevreuse s’était bien gardé de communiquer à celle-ci le motif de son voyage en ces régions lointaines. Elle lui avait simplement laissé entendre qu’elle accomplissait une mission secrète en compagnie du lieutenant aux mousquetaires Gaëtan de Castel-Rajac. M me de Lussey n’en avait pas demandé davantage.
Après avoir fait signe de la main à la duchesse et au chevalier de ne pas broncher et de garder le silence, elle s’avança jusqu’auprès d’eux et leur dit tout bas :
– Il y a une heure environ, un cavalier est arrivé ici. Il était porteur d’un ordre signé du roi, enjoignant quiconque de le recevoir et de l’héberger avec les honneurs d’un représentant de Sa Majesté. Il se nomme, ainsi que je l’ai lu sur son sauf-conduit, le baron Tiburce d’Espagnac. Il est d’ailleurs fort laid, suffisamment ridicule, et ne ressemble pas plus à un gentilhomme que le bedeau de ma paroisse ne ressemble au pape.
» Je dois vous dire qu’il m’a inspiré tout de suite la plus légitime méfiance. Maintenant, j’en suis certaine, ainsi que vous allez le voir, ce M. d’Espagnac est tout simplement un policier qui, à l’aide d’un faux blanc-seing, s’est introduit dans ma maison pour vous surveiller et tâcher de surprendre vos secrets.
» En effet, après m’avoir raconté qu’il était brisé de fatigue et qu’il désirait se reposer, il a prié qu’on le conduisît dans la chambre que je lui destinais.
» Tout d’abord, je lui ai demandé pourquoi il avait choisi ma maison de préférence à une autre. Il m’a déclaré que c’était uniquement parce qu’elle était la seule dans tout le pays où il avait remarqué de la lumière.
» Cette réponse, des plus saugrenues, et qui tendrait à prouver que ce jeune policier n’est pas d’une très grande finesse, a éveillé mes soupçons et je me suis promis, aussitôt, d’observer soigneusement le personnage.
» M’étant cachée derrière un paravent dans le couloir sur lequel donne sa chambre, je
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