L'Homme au masque de fer
de tout ce qui se passait à l’intérieur de la cour. Tout d’abord, il ne vit rien, il n’entendit rien. Un calme absolu semblait régner à l’intérieur du château. Aucune lumière n’apparaissait derrière les fenêtres.
De même que lors de son équipée de Montgiron, le chevalier Gaëtan eut l’impression qu’il se trouvait aux abords d’un nouveau château de la Belle au bois dormant. Déjà, il songeait au moyen d’escalader ce nouvel obstacle qu’il n’avait pas été sans prévoir. Il n’y en avait qu’un seul, c’était de recommencer la même opération qu’il avait faite pour escalader l’enceinte de la citadelle.
Toujours à quatre pattes, et naturellement suivi de ses deux fidèles associés, il se mit à descendre l’escalier qui aboutissait à la grande porte grillée.
Comme il atteignait la dernière marche, il s’arrêta subitement. Il avait cru entendre, dans la cour, un léger bruit. Tapi dans l’ombre, il demeura immobile ainsi que ses camarades. Comme le bruit s’élevait de nouveau, plus rapproché, il saisit la poignée d’un coutelas qu’il portait accroché à sa ceinture, se préparant à supprimer, s’il en était besoin, l’indiscret qui avait le singulier aplomb de se mêler de ses affaires et la malencontreuse idée de venir se jeter dans ses jambes, ou plutôt dans ses bras.
Le regard tendu, l’oreille aux aguets, il vit bientôt une ombre s’approcher de la grille. Son cœur eut un joyeux battement. Le Gascon venait de reconnaître la silhouette de Jean Martigues. Il le laissa tranquillement ouvrir la porte à l’aide d’une clef énorme avec laquelle on aurait pu aisément assommer un bœuf, et, toujours sur les genoux, il s’avança vers lui, après avoir fait signe à ses amis de demeurer sur place.
Martigues, en apercevant cet homme qui rampait dans sa direction, eut un mouvement d’hésitation. Instantanément, Castel-Rajac se releva et lui dit simplement :
– Avez-vous la clef du cachot ?
Le pêcheur, l’air consterné, baissa la tête en disant :
– Non, je ne l’ai pas !
D’un geste brusque, Gaëtan le saisit par le revers de son veston.
Un mot lui échappa :
– Animal !
– Ne m’en voulez pas, murmura le pauvre diable, M. le gouverneur a voulu lui-même porter secours à M. l’homme au masque de fer et il est en ce moment avec lui dans son cachot.
– Mordious ! grommela le Gascon, en frappant du pied le sol.
Tout en dévisageant l’ancien pêcheur d’un air courroucé, il fit :
– Et les soldats ?
– Ah ! ceux-là, monsieur, ils ne vous gêneront pas beaucoup, car ils sont tous soûls comme des bourriques.
– Allons, ça va un peu mieux, respira Gaëtan.
Et, après avoir appelé ses amis qui n’avaient pas bougé de place et s’empressèrent de le rejoindre, de l’air décidé d’un homme qui vient de prendre une résolution dont rien ne pourrait le faire démordre, il dit à Martigues, qui n’avait plus un poil de sec :
– Maintenant, conduis-moi jusqu’au cachot du prisonnier.
– Mais, hésita le brave garçon, je viens de vous dire, monsieur, que M. le gouverneur s’y trouvait.
– Eh bien ! tant mieux.
– Mon Dieu, mon Dieu, gémit Martigues, pourvu qu’il ne vous arrive pas malheur !
– Ton gouverneur est donc si terrible que cela ?
– Ce n’est pas un méchant homme… mais…
– Allons, conduis-moi, ordonna le Gascon sur un ton qui n’admettait pas de réplique.
L’ancien pêcheur ne se le fit pas répéter une troisième fois.
– Suivez-moi, messieurs, fit-il.
Les trois Gascons emboîtèrent aussitôt le pas au valet, qui, après les avoir fait pénétrer à l’intérieur de la citadelle, les fit entrer dans un couloir obscur et désert où s’amorçait l’escalier qui conduisait aux cachots.
Castel-Rajac et ses amis aperçurent bien, dans la pénombre, ça et là, quelques corps étendus à terre. Ils ne s’en inquiétèrent point, car c’étaient ceux des soldats que leur guide avait copieusement grisés. Derrière lui, ils gravirent les marches et arrivèrent dans un autre couloir sur lequel donnaient plusieurs cachots.
Sans s’être donné le mot, ils se mirent à marcher sur la pointe des pieds, jusqu’au moment où Martigues s’arrêta devant la porte de la cellule où était enfermé le fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche.
Un rai de lumière filtrait sous le vantail inférieur. Éclairé par le falot suspendu au centre
Weitere Kostenlose Bücher