L'Ile du jour d'avant
réprouvé, le jésuite avait répondu qu’à la plus grande gloire de Dieu peuvent aussi concourir les idées d’un hérétique, si en soi elles ne sont pas hérétiques. Et nous pouvons imaginer si le père Caspar, qui accueillait toutes les méthodes existantes, ne jurant sur aucune mais tirant parti de leur querelleur conciliabule, n’aurait pas dû tirer aussi parti de la méthode de Galilée.
Au contraire, il s’avérait fort utile et pour la science et pour la foi de profiter au plus vite de l’idée de Galilée ; celui-ci avait déjà essayé de la vendre aux Hollandais, et heureusement que, à l’instar des Espagnols quelques dizaines d’années auparavant, ils s’en étaient méfiés.
Galilée avait tiré des bizarreries d’une prémisse qui était très juste en soi, c’est-à-dire dérober l’idée de la lunette d’approche aux Flamands (qui ne s’en servaient que pour observer les navires au port), et pointer cet instrument vers le ciel. Là, parmi tant d’autres choses que le père Caspar ne songeait pas à mettre en doute, il avait découvert que Jupiter, ou Giove comme le nommait Galilée, avait quatre satellites, en somme quatre lunes, jamais vues depuis les origines du monde jusqu’à cette époque. Quatre petites étoiles joviennes qui lui tournaient autour, tandis qu’il tournait autour du soleil – que Jupiter tournât autour du soleil, nous verrons que pour le père Caspar c’était admissible, pourvu qu’on laissât la terre en paix.
Or, que notre lune entre parfois en éclipse, quand elle passe dans l’ombre de la terre, c’était chose bien connue, ainsi qu’il était connu de tous les astronomes quand les éclipses lunaires devaient se produire, et les éphémérides faisaient autorité. Pas de quoi s’étonner donc si les lunes de Jupiter aussi avaient leurs éclipses. Mieux, du moins pour nous, elles en avaient deux, une éclipse véritable et une occultation.
En effet la lune disparaît à nos yeux lorsque la terre se met entre elle et le soleil, mais les satellites de Jupiter disparaissent deux fois à notre vue, quand ils lui passent derrière et quand ils lui passent devant, ne devenant plus qu’un avec sa lumière, et à l’aide d’une bonne lunette d’approche on peut fort bien suivre leurs apparitions et disparitions. Avec l’inestimable avantage que, tandis que les éclipses de lune adviennent seulement à chaque mort de pape et prennent un très long temps, celles des satellites joviens ont lieu fréquemment et sont très rapides.
À présent, supposons que l’heure et les minutes des éclipses de chaque satellite (chacun passant sur une orbite d’amplitude différente) aient été exactement vérifiées sur un méridien connu, et qu’en fassent foi les éphémérides ; à ce point, il suffit d’établir l’heure et la minute où l’éclipse se montre au méridien (inconnu) sur lequel on se trouve, le compte est vite fait, et il est possible de déduire la longitude du lieu d’observation.
Il est vrai qu’il y avait des inconvénients mineurs dont il ne valait pas la peine de parler à un profane, mais l’entreprise aurait souri à un bon calculateur qui disposât d’un mesureur du temps, autrement dit un perpendiculum , ou pendule, ou Horologium Oscillatorium comme on veut, apte à mesurer avec une exactitude absolue même la différence d’une seule seconde ; item, qui eût deux horloges normales lui disant avec fidélité l’heure du début et de la fin du phénomène aussi bien sur le méridien d’observation que sur celui de l’île du Fer ; item, qui sût, par le truchement de la table des sinus, mesurer la quantité de l’angle fait dans l’œil par les corps examinés – angle qui, compris comme position des aiguilles d’une horloge, aurait exprimé en minutes et secondes la distance entre deux corps et sa progressive variation.
Pourvu, il est utile de le répéter, qu’on eût ces bonnes éphémérides que Galilée, désormais vieux et malade, n’avait pas réussi à compléter, mais que les frères du père Caspar, déjà si habiles à calculer les éclipses de Lune, avaient maintenant dressées à la perfection.
Quels sont les inconvénients majeurs sur quoi s’étaient exacerbés les adversaires de Galilée ? Qu’il s’agissait d’observations que l’on ne pouvait faire à l’œil nu et qu’il fallait une bonne lunette d’approche ou télescope comme on l’aurait appelé désormais ? Et le père
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