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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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Dieu si le navire avait pu déferler, virer de bord et fuir à male peine vers le large, avec le capitaine qui, dans sa langue luthérienne, lançait des grossièretés à ces pères de peu de pondération. Et cette fois-ci, ce sont eux qui avaient tort : envoyer par le fond des Hollandais d’accord, mais pas avec un jésuite à bord.
    Par chance il n’était pas difficile de trouver d’autres missions à une très raisonnable distance, et ils avaient mis le cap sur la plus hospitalière Mindanao. Ainsi, d’étape en étape, ils gardaient sous contrôle la longitude (et Dieu sait comme, ajouté-je, vu qu’en finissant à un empan de l’Australie, ils devaient avoir perdu tout point de repère).
    — Et or donc devons Novissima Expérimenta faire, pour clarissime et évidenter démontrer que nous sur le cent quatre-vingtième méridien sommes. Autrement mes frères du Collège Romain pensent que je suis un mameluk.
    — De nouvelles expériences ? demanda Roberto. Ne m’aviez-vous pas à peine dit que l’Observatoire vous a finalement donné la certitude de vous trouver sur le cent quatre-vingtième méridien et en face de l’île de Salomon ?
    Si, répondit le jésuite, et lui, il en était certain : il avait mis en lice les différentes méthodes imparfaites découvertes par les autres, et l’accord de tant de méthodes faibles ne pouvait que fournir une certitude très solide, comme il advient dans la preuve de Dieu par le consensus gentium , car il est bien vrai qu’il y a beaucoup d’hommes enclins à l’erreur qui croient en Dieu, mais il est impossible que tous se trompent, depuis les forêts de l’Afrique jusqu’aux déserts de la Chine. Ainsi advient-il que nous croyons au mouvement du soleil et de la lune et des autres planètes, ou à la puissance cachée de la chélidoine, ou que dans le centre de la terre il y a un feu souterrain ; depuis mille et mille ans les hommes l’ont cru, et le croyant ils ont réussi à vivre sur cette planète et à obtenir de nombreux effets utiles selon la façon dont ils avaient lu le grand livre de la nature. Mais une grande découverte comme celle-ci devait être confirmée par de nombreuses autres preuves, de manière que même les sceptiques se rendissent à l’évidence.
    Et puis on ne doit pas persévérer dans la science seulement par amour du savoir, mais pour la faire partager à ses frères. Par conséquent, vu que trouver la bonne longitude lui avait coûté tant de peine, il lui fallait à présent en chercher confirmation à travers d’autres méthodes plus faciles, en sorte que ce savoir devînt le patrimoine de tous nos frères, « ou du moins de nos frères chrétiens, mieux, de nos frères catholiques, car les hérétiques hollandais ou anglais, ou pis moraves, il serait beaucoup préférable que de ces secrets ils ne viendraient jamais à la connaissance ».
    Or donc, de toutes les méthodes pour prendre la longitude, il en tenait deux désormais pour sûres. L’une, bonne pour la terre ferme, justement ce trésor de toute méthode qu’était l’Observatoire Maltais ; l’autre, bonne pour les observations en mer, était celle de l’lnstrumentum Arcetricum , qui se trouvait dans le second-pont et n’avait pas encore été mis en œuvre, puisqu’il s’agissait d’abord d’obtenir à travers l’Observatoire la certitude sur sa propre position, et ensuite de voir si cet Instrumentum la confirmait, après quoi elle aurait pu être considérée la sûre des sûres d’entre toutes.
    Cette expérimentation, le père Caspar l’aurait faite bien avant s’il n’était arrivé tout ce qui était arrivé. Mais le moment était venu, et ce serait précisément cette nuit même : le ciel et les éphémérides disaient que c’était la bonne nuit.
    Qu’était l’lnstrumentum Arcetricum  ? Un engin préfiguré bien des années plus tôt par Galilée – mais attention, préfiguré, raconté, promis, jamais réalisé avant que le père Caspar ne se mît à l’œuvre. Et à Roberto qui lui demandait si ce Galilée était le même qui avait fait une très condamnable hypothèse sur le mouvement de la terre, le père Caspar répondait que oui, quand il s’était mêlé de métaphysique et de saintes écritures ce Galilée avait dit des choses détestables, mais en tant que mécanicien c’était un homme de génie, et immense. À la question s’il n’était pas mauvais d’utiliser les idées d’un homme que l’Église avait

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