L'Ile du jour d'avant
ne vous laissez pas tromper par son jeune âge. » Il allongea une main et secoua une corde. On n’entendit aucun son mais le geste devait avoir fait résonner ailleurs une clochette ou un autre signal – c’est ce qu’en déduisit Roberto, à une époque où les grands seigneurs cacardaient pour appeler leurs serviteurs à plein gosier.
De fait, peu après entra avec déférence un jeune homme qui paraissait n’avoir pas beaucoup plus de vingt ans.
« Bienvenu, Colbert, voici la personne dont nous vous entretenions aujourd’hui », lui dit Mazarin, et puis à Roberto :
« Colbert, qui s’initie de manière prometteuse aux secrets de l’administration de l’État, envisage depuis longtemps un problème qui tient fort à cœur au Cardinal de Richelieu, et par conséquent à moi. Sans doute saurez-vous, San Patrizio, qu’avant que le Cardinal prît le gouvernail de ce grand vaisseau dont Louis XIII est le capitaine, la marine française était nulle en regard de celle de nos ennemis, en temps de guerre comme en temps de paix. À présent, nous pouvons tirer gloire de nos chantiers, et de la flotte du Levant et de celle du Ponant, et vous vous rappellerez avec quel succès, pas plus de six mois en arrière, le marquis de Brézé a pu déployer devant Barcelone quarante-quatre vaisseaux, quatorze galères, et je ne me souviens plus du nombre des autres navires. Nous avons renforcé nos conquêtes dans la Nouvelle France. Nous nous sommes assuré la domination de la Martinique et de la Guadeloupe, et de tant de ces Îles du Pérou, comme aime à dire le Cardinal. Nous ayons commencé à constituer des compagnies commerciales, même si ce n’est pas encore le plein succès mais, malheureusement, dans les Provinces-Unies, en Angleterre, au Portugal et en Espagne, il n’est famille noble qui ne voie l’un des siens faire fortune sur les mers ; ainsi n’en va-t-il pas de la France, hélas. Preuve en est que nous en savons peut-être suffisamment sur le Nouveau Monde, mais peu sur le Tout Nouveau. Montrez, Colbert, à notre ami comme apparaît encore vide de terres l’autre côté de ce globe.
Le jeune homme fit tourner le globe et Mazarin sourit avec mélancolie :
— Hélas, cette étendue d’eaux n’est pas vide par le fait d’une marâtre nature ; elle est vide parce que nous savons trop peu de sa générosité. Et pourtant, après la découverte d’une route occidentale pour les Moluques, est en jeu précisément cette vaste zone inexplorée qui s’étend entre les côtes ouest du continent américain et les derniers contreforts de l’Asie. Je parle de l’océan dit Pacifique, comme voulurent l’appeler les Portugais, sur lequel s’étend certainement la Terra Incognita Australe dont on connaît peu d’îles et peu d’incertaines côtes, mais assez pour la savoir nourrice de fabuleuses richesses. Et sur ces eaux-là courent maintenant et depuis longtemps trop d’aventuriers qui ne parlent pas notre langue. Notre ami Colbert, avec ce que je ne considère pas seulement juvénile lubie, caresse l’idée d’une présence française dans ces mers. D’autant plus que nous présumons que le premier à poser le pied sur une Terre Australe a été un Français, monsieur de Gonneville, et seize ans avant l’exploit de Magellan. Cependant ce valeureux gentilhomme, ou ecclésiastique peut-être, a négligé d’enregistrer sur les cartes le lieu où il a abordé. Pouvons-nous penser qu’un Français brave fut aussi inconsidéré ? Certes pas, c’est qu’à cette époque lointaine il ne savait comment résoudre entièrement un problème. Mais ce problème, et vous serez étonné de savoir quel, reste un mystère pour nous aussi.
Il fit une pause et Roberto comprit que, puisqu’aussi bien le cardinal que Colbert connaissaient, sinon la solution, au moins le nom du mystère, la pause était seulement en son honneur. Roberto crut bon de jouer le rôle du spectateur fasciné, et il demanda : « Et quel est le mystère, de grâce ? »
Mazarin regarda Colbert d’un air entendu et dit : « C’est le mystère des longitudes. » Colbert acquiesça avec gravité.
— Pour la solution de ce problème du Punto Fijo , poursuivit le cardinal, déjà soixante-dix années en arrière Philippe II d’Espagne offrait une fortune, et plus tard Philippe III promettait six mille ducats de rente perpétuelle et deux mille de viager, et les États Généraux de Hollande trente mille florins.
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