L'Ile du jour d'avant
arrivé, il y a presque un siècle, à cet Espagnol, Mendaña, qui a découvert les Îles de Salomon, terres bénies du ciel pour les fruits de son sol et l’or de son sous-sol. Ce Mendaña a fixé la position de la terre qu’il avait découverte, il est revenu dans sa patrie pour annoncer l’événement, en moins de vingt ans on lui a apprêté quatre navires pour y retourner et y instaurer définitivement la domination de leurs majestés très chrétiennes, comme l’on dit là-bas, et que s’est-il passé ? Mendaña n’a plus réussi à trouver cette terre. Les Hollandais ne sont pas restés inactifs ; au début de ce siècle, ils constituaient leur Compagnie des Indes, créaient en Asie la ville de Batavia comme point de départ pour de nombreuses expéditions vers l’est et ils touchaient une Nouvelle Hollande ; et d’autres terres, probablement à l’orient des Îles de Salomon, ce sont les pirates anglais qui pendant ce temps les découvraient, à qui la Cour de Saint-Jacques n’a pas hésité à conférer des quartiers de noblesse. Mais des Îles de Salomon, personne ne trouvera plus trace, et l’on comprend pourquoi certains désormais inclinent à les tenir pour une légende. Quelles fussent légendaires ou pas, Mendaña les a quand même touchées, sauf qu’il en a fixé précisément la latitude mais imprécisément la longitude. Et même si, par une aide céleste, il l’avait fixée selon le vrai, les autres navigateurs qui ont cherché cette longitude (et lui en personne à son deuxième voyage) ne savaient pas avec clarté quelle était la leur. Et quand même nous saurions où est Paris, mais ne parviendrions pas à établir si nous sommes en Espagne ou parmi les Persans, vous voyez bien, monsieur, que nous évoluerions comme des aveugles qui conduisent d’autres aveugles.
— Vraiment, hasarda Roberto, j’ai peine à croire, avec tout ce que j’ai entendu sur les avancées du savoir dans notre siècle, que nous en sachions encore aussi peu.
— Je ne vous fais pas la liste des méthodes proposées, monsieur, depuis celle fondée sur les éclipses lunaires jusqu’à celle qui considère les variations de l’aiguille magnétique, sur laquelle s’est récemment essoufflé notre Le Tellier, pour ne pas mentionner la méthode du loch, sur laquelle notre Champlain a promis tant de garanties… Mais toutes se sont révélées insuffisantes, et le seront tant que la France n’aura pas un observatoire où mettre à la preuve un si grand nombre d’hypothèses. Naturellement, il y aurait un moyen sûr : avoir à bord une horloge qui garde l’heure du méridien de Paris, déterminer en mer l’heure du lieu, et déduire de la différence l’écart de longitude. Voici le globe où nous vivons, et vous pouvez voir comment la sagesse des anciens l’a subdivisé en trois cent soixante degrés de longitude, faisant habituellement partir le compte du méridien qui traverse l’île du Fer aux Canaries. Dans sa course céleste, le soleil (et que ce soit lui qui se meut ou, comme on le pense aujourd’hui, la terre, peu importe à ces fins) parcourt en une heure quinze degrés de longitude, et quand, à Paris, il est comme en ce moment, minuit, à cent quatre-vingts degrés de méridien de Paris il est midi. Donc, pourvu que vous sachiez avec certitude qu’à Paris les horloges indiquent, supposons, midi, vous déterminez que dans le lieu où vous vous trouvez il est six heures du matin, vous calculez la différence horaire, vous traduisez chaque heure en quinze degrés, et vous saurez que vous êtes à quatre-vingt-dix degrés de Paris, plus ou moins ici.
Et il fit rouler le globe, montrant un point du continent américain.
— Mais s’il n’est pas difficile de déterminer l’heure du lieu du relevé, il est fort difficile de garder à bord une horloge qui continue à donner l’heure juste, après des mois de navigation sur un navire secoué par les vents, et dont le mouvement amène à l’erreur fussent les plus ingénieux d’entre les instruments modernes, sans parler des horloges à sable et à eau qui, pour bien marcher, devraient reposer sur un plan immobile.
Le cardinal l’interrompit :
— Nous ne croyons pas que monsieur de San Patrizio pour l’heure doive en savoir davantage, Colbert. Vous ferez en sorte qu’il ait d’autres lumières pendant le voyage vers Amsterdam. Après quoi, ce ne sera plus nous qui l’enseignerons, mais lui, comptons-y, qui nous
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