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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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nom.
    Raison de plus pour ne point tenter de défense. Seul lui demeurait inexplicable le motif pour quoi – s’il était désormais condamné – le cardinal se dérangeait afin de l’informer de son sort. Il n’était le destinataire d’aucun message, mais bien l’énigme, la devinette même que d’autres, encore incertains sur la détermination du roi, devraient déchiffrer. Il attendit en silence une explication.
    — Voyez-vous, San Patrizio, si nous n’avions pas été exhaussé à la dignité ecclésiastique dont le pontife, et le désir du Roi, nous ont honoré voilà un an, nous dirions que la Providence a guidé votre imprudence. Depuis longtemps on vous observait, et nous nous demandions comment nous pourrions obtenir un service de vous, qui n’aviez nul devoir de le prêter. Nous avons saisi votre faux pas d’il y a trois soirs comme un don singulier du Ciel. À présent vous pourrez nous être débiteur, et notre position change, pour ne rien dire de la vôtre.
    — Débiteur ?
    — De la vie. Il n’est naturellement pas en notre pouvoir de pardonner, mais intercéder est de notre faculté. Disons que vous pourriez vous soustraire aux rigueurs de la loi par la fuite. Un an passé, ou même davantage, la mémoire du témoin se sera certainement brouillée, et celui-ci pourra jurer sans, tache pour son honneur que l’homme d’il y a trois soirs, ce n’était pas vous ; et il se pourrait apurer qu’à cette heure-là vous jouiez ailleurs au trictrac avec le capitaine de Bar. Alors – nous ne décidons pas, attention, nous présumons, et il pourrait arriver le contraire, mais nous espérons bien voir juste – il vous sera rendu pleine justice et une liberté sans conditions. Asseyez-vous, je vous prie, dit-il. Je dois vous proposer une mission.
    Roberto s’assit : « Une mission ?
    — Et délicate. Au cours de laquelle, je ne vous le cache pas, vous aurez plus d’une occasion de perdre la vie. Mais c’est un marché : on vous soustrait à la certitude du bourreau, et on vous laisse de nombreuses opportunités de revenir sain et sauf, si vous êtes avisé. Une année d’adversités, disons, en échange d’une vie entière.
    — Eminence, dit Roberto qui voyait au moins se dissiper l’image du bourreau, d’après ce que je comprends il est inutile que je jure, sur mon honneur ou sur la Croix, que…
    — Nous manquerions de chrétienne pitié si nous excluions en absolu que vous soyez innocent et nous victime d’une équivoque. Mais l’équivoque serait en tel accord avec nos projets que nous ne verrions aucune raison de la démasquer. Par ailleurs, vous ne voudrez pas insinuer que nous vous proposons un troc malhonnête : ou innocent sous la hache ou, à notre service, accusé qui a avoué, et mensongèrement…
    — Loin de moi cette intention irrespectueuse, Eminence.
    — Et donc. Nous vous offrons quelques risques possibles, mais une gloire certaine. Et nous vous dirons comment il se fait que nous ayons posé les yeux sur vous, sans que d’abord nous fût connue votre présence à Paris. La ville, voyez-vous, parle beaucoup de ce qui se passe dans les salons, et tout Paris a brui voilà quelque temps d’une soirée au cours de laquelle vous avez brillé aux yeux de nombreuses dames. Tout Paris, ne rougissez pas. Nous faisons allusion au soir où vous avez exposé avec brio les vertus d’une prétendue Poudre de Sympathie, et en sorte que (ainsi s’exprime-t-on dans ces lieux, n’est-ce pas ?) à ce sujet les ironies conférassent du sel, les paronomases de la grâce, les sentences solennité, les hyperboles richesse, les comparaisons perspicacité…
    — Oh Eminence, je rapportais des choses apprises…
    — J’admire la modestie, mais il semble que vous y ayez révélé une bonne connaissance de certains secrets naturels. Or donc, me sert un homme de pareil savoir, qui ne soit français et qui, sans compromettre la couronne, se puisse insinuer sur un navire en partance d’Amsterdam dans le but de découvrir un nouveau secret, lequel n’est pas sans rapport avec l’usage de cette poudre.
    Il prévint encore une objection de Roberto : « N’ayez crainte, nous avons besoin que vous sachiez bien ce que nous cherchons, afin que vous puissiez interpréter fût-ce les signes les plus incertains. Nous vous voulons tout à fait docte sur le sujet, puisque nous vous voyons maintenant si bien disposé à nous satisfaire. Vous aurez un maître de talent, et

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