L'Ile du jour d'avant
train d’assumer ses fonctions, et déjà l’officier avait dît « le Cardinal », comme s’il n’en existait plus d’autre.
Il s’apprêta à répondre à la première question, mais il devait se rendre compte sans tarder que le cardinal faisait mine d’interroger mais qu’en réalité il affirmait, admettant que dans tous les cas son interlocuteur ne pouvait qu’acquiescer.
— Roberto de la Grive, confirma de fait le cardinal, des seigneurs Pozzo di San Patrizio. Nous connaissons le château, comme nous connaissons bien le Montferrat. Si fertile qu’il pourrait être France. Votre père, dans les jours de Casal, combattit avec honneur et il nous fut plus loyal que vos autres compatriotes. » Il disait nous comme si à cette époque-là il était déjà une créature du Roi de France. « Vous aussi en cette occasion vous comportâtes bravement, nous fut-il rapporté. Ne croyez-vous pas que d’autant plus, et paternellement, nous devions regretter que, hôte de ce royaume, de l’hôte vous n’ayez observé les devoirs ? Ne saviez-vous pas que dans ce royaume les lois s’appliquent également aux sujets et aux hôtes ? Bien sûr, bien sûr nous n’oublierons pas qu’un gentilhomme est toujours un gentilhomme, quelque crime qu’il ait commis : vous jouirez des mêmes faveurs accordées à Cinq-Mars, dont vous ne paraissez pas exécrer la mémoire autant qu’il se devrait. Vous mourrez vous aussi par la hache et non par la corde.
Roberto ne pouvait ignorer un événement dont parlait la France entière. Le marquis de Cinq-Mars avait cherché à convaincre le roi de congédier Richelieu, et Richelieu avait convaincu le roi que Cinq-Mars conspirait contre le royaume. À Lyon le condamné avait cherché de se comporter avec une dédaigneuse dignité face au bourreau, mais ce dernier avait fait carnage de son cou de façon si indigne que la foule indignée avait fait carnage de lui.
Comme Roberto épouvanté avait l’air de vouloir parler, le cardinal le prévint d’un geste de la main : « Allons, San Patrizio » dit-il, et Roberto inféra qu’il usait de ce nom pour lui rappeler qu’il était étranger ; d’autre part il lui parlait en français, alors qu’il aurait pu lui parler en italien. « Vous avez cédé aux vices de cette ville et de ce pays. Comme a coutume de dire Son Éminence le Cardinal, la légèreté ordinaire des Français leur fait désirer le changement à cause de l’ennui qu’ils éprouvent pour les choses présentes. Certains de ces gentilshommes légers, que le Roi a pris soin d’alléger aussi de leur tête, vous ont séduit avec leurs desseins de subversion. Votre cas est tel qu’il n’embarrassera aucun tribunal. Les États, dont la conservation doit nous être extrêmement chère, subiraient bientôt la ruine si en matière de crimes qui tendent à leur renversement on demandait des preuves aussi claires que celles demandées dans les cas communs. Voici deux soirs de cela, on vous a vu vous entretenir avec des amis de Cinq-Mars, qui ont formulé une fois de plus des propos de haute trahison. Qui vous a vu parmi eux est digne de foi : nous lui avions donné mandat de s’infiltrer. Et cela suffît. Allons, prévint-il ennuyé, nous ne vous avons pas fait venir ici pour entendre des protestations d’innocence, calmez-vous donc et écoutez. »
Roberto ne se calma pas, mais tira quelques conclusions : au moment même où Lilia lui touchait la main, on le voyait ailleurs en train de conspirer contre L’État. Mazarin en était si convaincu que l’idée devenait un fait. On murmurait partout que l’ire de Richelieu n’était pas encore apaisée, et beaucoup tremblaient d’être choisis comme nouvel exemple. De quelque façon qu’on l’eût désigné, Roberto était en tout cas perdu.
Roberto aurait pu réfléchir sur le fait que souvent, et non seulement l’avant-veille au soir, il s’était entretenu dans quelque conversation au sortir du salon de Rambouillet ; qu’il n’était pas impossible que, parmi ces interlocuteurs, il y eût eu quelque intime de Cinq-Mars ; que si Mazarin, pour une raison à lui, voulait le perdre, il lui eût suffi d’interpréter de manière malveillante n’importe quelle phrase rapportée par un espion… Mais naturellement les réflexions de Roberto étaient tout autres et elles confirmaient ses craintes : quelqu’un avait pris part à une réunion séditieuse en se targuant et de son visage et de son
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